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Isabelle LEVERT

Psychologue clinicienne

Psychothérapeute

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Les facteurs d'anti-communication

Différend ou différent ?

Les facteurs d'anti-communication - Différend ou différentLes difficultés de communication sont légions. Nombreux sont les couples qui entament une démarche de psychothérapie de couple en mettant celles-ci en première ligne. Pourtant, elles ne sont pas la cause des problèmes relationnels mais le symptôme de dysfonctionnements individuels, présents à plus ou moins grande échelle, entremêlés, concomitants... Or, pour construire une relation de qualité, la communication est primordiale. Malheureusement, l'intolérance à la critique, l'égocentrisme, une partition dichotomique du monde, l'incapacité à se remettre en question, l'abrasement du désir d'autrui, etc. (la liste n'est pas exhaustive) peuvent la rendre impossible et rendre fou l'individu qui ne ferait pas ce constat. Certains troubles de la personnalité font ainsi avorter toute tentative de communication, d'où le terme d'anti-communication. 

L'intolérance à la critique

Une critique n'est pas une mauvaise chose en soi puisqu'elle peut permettre à la personne à qui elle s'adresse de s'améliorer ou de modifier son comportement pour donner satisfaction à son interlocuteur. Cependant, pour certains individus, elle est mal prise, quelque soit sa forme. Elle est perçue comme une offense et suscite de vives émotions, des réactions disproportionnées de virulence – colère extériorisée – ou de mutisme – colère renfrognée – et de la rancœur se manifestant par des allusions amères et récurrentes même des mois ou des années plus tard.

Il est à noter que se montrer outré(e) peut être une tentative délibérée de déstabilisation de l'autre, qui en réponse à cette victimisation maligne se culpabilise et/ou se voit barrer la route à toute contestation ultérieure. C'est un procédé pervers. Chez les borderlines, ce renversement des rôles n'est pas opéré sciemment mais découle d'attentes excessives, de déceptions inévitables et d'une conviction d'être maltraités, mal aimés... qui n'est pas remise en cause.

L'égocentrisme

Dialoguer avec quelqu'un suppose que quelque chose passe au travers de l'acte de parole, qu'il permette qu'une différence entre un émetteur et un récepteur fasse la différence. Dialoguer implique un minimum d'empathie de la part de chacun. Or, une posture égocentrée obture ce passage de l'un à l'autre puisqu'elle invalide la capacité de se mettre momentanément à sa place pour comprendre et ressentir la situation de son point de vue.

On remarque que, lors des disputes, chaque protagoniste est égocentré et que la résolution survient quand l'un s'ouvre à la réalité de l'autre qui accueille favorablement cette ouverture et lui offre la réciproque. Par contre, dans les rapports de domination/soumission, la crise s'estompe lorsque la personne despotique parvient à faire à nouveau courber l'échine à l'autre ou a minima à imposer la clôture du débat.

Le fait qu'un individu inflige des représailles à l'autre si on pose une limite à ses empiétements (envahissement du territoire, non respect du travail, du sommeil... ) ou si on le frustre est un indicateur fort de perversité. Au rang des mesures de rétorsion, figurent le mutisme, le retrait physique (bouderie ou éloignement géographique), le chantage affectif (menace de rupture explicite ou voilée), le délaissement (l'autre s'en va s'amuser sans son conjoint qui est laissé en plan), les disqualifications flagrantes ou subtiles... dont le but est de punir, faire mal, soumettre au moyen de manipulations émotionnelles douloureuses. Le message implicite est  : «  Tiens-toi à carreau sans quoi je te le fais payer  !  ».

Une partition dichotomique du monde

Lorsque les avis divergent, pour qu'une discussion soit constructive, il est nécessaire de faire preuve de nuances et de curiosité à l'égard de celui de l'autre. Évidemment, en cas de conflit, chacun des protagonistes est a priori convaincu de la justesse de sa position sans quoi il ne la tiendrait pas. S'ils sont prêts à s'écouter, il est possible qu'une information supplémentaire permette à l'un ou à l'autre d'en changer,  et à condition que l'ego supporte de ne pas tout savoir sur tout, de se tromper, etc. Pour certaines personnes, c'est intolérable. Elles sont affectées – on pourrait presque dire infectées – par un mécanisme de défense primitif, qui a perduré à l'âge adulte  : le déni/clivage. Les qualités bonnes et mauvaises d'un même objet (l'autre, soi, une situation, etc.) ne sont pas simultanément maintenues dans leur champ de conscience, ce qui se traduit par un fonctionnement dichotomique, à savoir des perceptions du type tout blanc/tout noir, tu as tort/j'ai raison, gentil/méchant, etc. Les différends peuvent ainsi donner lieu à des vécus de nullité, de stupidité... où l'image de soi s'écroule, ou a contrario à des surcompensations narcissiques où la personne monte sur ses grands chevaux pour défendre coûte que coûte une image de soi mise en péril par la différenciation d'autrui.

Les paranos illustrent dramatiquement cette imperméabilité radicale à l'autre. Sitôt qu'ils ne sont plus magnifiés par leur partenaire, la diabolisation opère pour sauvegarder intacte leur belle image d'eux-mêmes. Au mieux, l'autre devient inutile, au pire il faut le ramener dans le rang, lui ouvrir les yeux et les oreilles. Dans tous les cas, il sert de support de projections et devient objet de mépris et/ou de haine. Sa parole est ainsi ligaturée par des attributs qui le noircissent et blanchissent le parano. Il manie l'art de la victimisation avec brio. L'autre ne parvient jamais à faire entendre ses raisons ou alors au bout d'une dépense énergétique colossale qui s'avérera toujours vaine car le changement ne perdurera pas dans le temps.

Certaines relations sont a-conflictuelles, non pas parce que les partenaires sont toujours d'accord mais parce que certaines personnes ont tellement peu confiance en elles, qu'elles ne défendent pas leur pensée et n'apportent rien qui contredise l'autre, ce qui est pourtant de nature à le faire évoluer. D'autres ont grandi dans un contexte qui ne les autorisait pas à se démarquer et l'habitude de calquer leur opinion aux attentes d'autrui est comme intégrée à leur personnalité. On parle de faux-self ou de personnalité as if.

L'incapacité à se remettre en question

Pour sortir d'une situation conflictuelle, il est nécessaire que chacun prenne sa part de responsabilité ce qui implique d'examiner la succession des interactions et de se remettre en question, de s'interroger sur le bien-fondé de sa position, sur l'impact de son comportement, sur son choix des mots dont certains ont une portée péjorative, sur l'effet de son silence, de ses négligences... Même en déroulant à nouveau le film, il n'est pas facile de se rendre compte de ce qui a pu heurter l'autre sans son éclairage. En théorie, le dialogue doit permettre d'enrichir sa propre perception de réalité de celle de l'autre. En pratique, c'est une autre affaire. Rares sont les personnes dotées de la force de reconnaître leurs torts.

Dans l'esprit d'une personne incapable d'une quelconque remise en question de soi, si le conflit s'enkyste ou dégénère, si la relation périclite, c'est entièrement de la faute de l'autre. Il s'en suit une multiplication des manœuvres de culpabilisation.

L'individu borderline et l'individu parano ont en commun de revenir sans cesse à la charge jusqu'à obtenir un mea culpa de leur partenaire incriminé. Ils n'adoptent jamais un autre angle de vue et ne demandent jamais authentiquement pardon. Tout au plus, on peut parfois leur arracher un «  je suis désolé(e)  » prononcé du bout des lèvres. Ils n'obtempèrent à quelques concessions qu'en désespoir de cause s'ils veulent récupérer leur partenaire pour qui une reconnaissance est une condition sine qua non à un retour.

Quant au pervers, ce qui détermine son (dys)fonctionnement est un refus radical de toute castration, c'est-à-dire de toute incomplétude, de toute imperfection, de toute faille qui de l'accepter aurait permis à la parole de l'autre d'y résonner et d'y loger quelques trésors, de sorte que tout discours est absolument sans effet. Il est accroché à son illusion de perfection. De dénier les blessures et plus encore leurs traces, le pervers ne se laisse toucher par personne et il est bien impuissant à jouir d'une relation de véritable intimité. En réalité, il scie la branche sur laquelle il est assis, il se castre lui-même du pouvoir d'aimer et il ne lui reste que l'emprise et son narcissisme grandiloquent. Il croit se grandir en écrasant les autres. Les disqualifications sont directes ou indirectes  : des petites remarques rabaissantes qui sont soi-disant de l'humour, un vocabulaire régulièrement grossier comme si l'autre était une benne à ordures, des conduites de porc complètement irrespectueuses, du mépris... Il s'arroge tous les droits. Ce qui est valable pour les autres ne l'est pas pour lui. Il fait sa loi et elle est contingente.

L'abrasement du désir de l'autre

Dans le mot «  communication  », il y a la racine «  commun  » si bien que la communication est le fait de mettre en commun. Ainsi, l'individu qui n'attend pas d'être deviné exprime son désir qui rencontre celui de l'autre. Concordance ou discordance. Harmonisation ou confrontation. Une demande saine n'attend pas une réponse positive – elle l'espère mais ne l'exige pas – mais elle appelle une réponse. Or, quand les demandes, exprimées gentiment ou sur le ton de l'humour, restent lettre morte, quand la fermeté aboutit à des hurlements ou à un silence de mort, quand l'un empêche l'autre de s'exprimer par un flot ininterrompu de paroles, ou en lui coupant la parole, en tournant ses propos en dérision, en changeant intempestivement de sujet, en l'invectivant à la moindre contrariété, ou encore en fermant tous les canaux de communication... il n'y a plus de partage possible, pas de compromis, pas de place pour la subjectivité de l'autre, sommé en quelque sorte de ravaler ce qu'il voulait dire. Il ne s'agit pas ici de taire son désir jusqu'à ce que le lieu et le temps soient plus favorables mais de compromission dans la mesure où le partenaire se fiche royalement de la demande de l'autre – quelquefois sa jouissance consiste même à faire exactement l'inverse de ce qui est demandé –, où l'autre s'il ne veut pas s'exposer à la vindicte n'a plus qu'à s'asseoir sur son désir. Là où la perversité règne, l'autre est considéré comme une chose dont le partenaire use et abuse pour sa satisfaction personnelle. La relation dure tant que le profiteur garde le pouvoir d'obtenir de l'autre ce qu'il veut. Dès lors que ce dernier n'est plus assujetti, qu'il s'inscrit en marge, il ne l'intéresse plus. Il est temps de rechercher une nouvelle proie à instrumentaliser et à vampiriser.

Dans la théorie des systèmes, on considère qu'une information est une différence qui fait la différence. De la redondance des boucles d'action-réaction avec un partenaire, on peut ainsi observer si la différence est admise ou si elle ne l'est pas. Si les points de vue peuvent diverger et souvent converger grâce au dialogue qui amène un enrichissement mutuel des perceptions de réalité, la relation se renforce au fil du temps. Si elle achoppe sur les mêmes situations conflictuelles sans aucune évolution, il est probable qu'elle se délite de plus en plus. Constater que toute prise de parole est infructueuse, que rien ne fait sens, que les dysfonctionnements sont si nombreux et si massifs que les difficultés de communication sont insurmontables est une information qui permet de se différencier et de se détacher.

Bibliographie

LEVET, I., Les violences sournoises dans le couple. Paris, Robert Laffont, Coll. Réponses, 2011.

LEVERT, I., Les violences sournoises dans la famille. Paris, Robert Laffont, Coll. Réponses, 2016.

Isabelle LEVERT
Psychologue clinicienne
Psychothérapeute

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