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Isabelle LEVERT

Psychologue clinicienne

Psychothérapeute

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Les racines de la violence dans la sphère des relations intimes

De la problématique et des enjeux de la psychothérapie

"Ce n'est pas en regardant la lumière qu'on devient lumineux, mais en plongeant dans son obscurité" (Jung)

1. Contexte

Les chiffres de l’Observatoire national de la délinquance trahissent l’ampleur et la gravité du problème de la violence conjugale, tant à l’égard des femmes que des hommes. Pour venir à bout de ce fléau, la répression ne suffit pas. La récidive est quasiment inévitable. Elle prend juste des voies plus insidieuses, moins visibles, et la preuve de la violence subie est alors encore plus difficile à amener, voire impossible. Il faut s’attaquer aux racines du mal par des actions curatives adaptées. Or, il n’existe presque rien en la matière, rien de spécifique. Notre volonté est qu’un projet de thérapie en groupe pour les auteurs voit le jour dans le Vaucluse.

2. Définition de la violence

Marie-France Hirigoyen (1998) définit la violence de la façon suivante : « toute action dont l'intentionnalité est malveillante et porte atteinte, par sa répétition ou sa gravité, à la dignité ou à l'intégrité psychique ou physique d'une personne. » On parlera de violence conjugale lorsque la violence se déroule dans le contexte de la relation amoureuse, que ce soit avec le partenaire actuel ou l’ex-partenaire et de violence familiale dans un contexte familial, sachant que la violence peut s’étendre aux enfants, qu’ils soient violentés directement ou indirectement. En effet, être témoin de la violence d’un de ses parents à l’encontre de l’autre est un traumatisme majeur qui affecte le bien-être de l’enfant et marque son développement.

La violence ne se réduit pas à des sévices physiques. La spirale de la violence conjugale commence d’ailleurs généralement par de la violence psychologique (injures, dénigrement, blâme, domination, isolement, attaques de l’image de soi, etc.) avec des formes particulièrement sournoises (mutisme, disqualification, double contrainte, déni de l’attachement, etc.) et donc plus difficiles à détecter parce que plus sophistiquées mais, néanmoins, tout aussi destructrices, si pas plus. Le raffinement les rend plus dangereuses sur le plan des atteintes psychiques qu’elles causent.

L’intentionnalité malveillante est toujours présente à la fois au cours de la « bouffée violente » et à la fois quand la violence est distillée par petites touches car l’autre est perçu comme un ennemi. Dans le premier cas, le revirement est brutal, s’opère sans que l’auteur en ait conscience et précède de peu le passage à l’acte. Dans le second cas, le revirement est quasiment permanent.

3. Précisions terminologiques

Le terme de violence sera, au cours de cet article, utilisé dans son acception large, incluant donc les violences psychologiques, même si ce sont les violences physiques et ses conséquences qui servent, dans bon nombre de cas, d’électrochoc incitant les personnes à demander de l’aide.

Le terme « auteur » désignera ici les hommes qui recourent à la violence dans la sphère de la vie intime car notre projet de thérapie en groupe leur est destiné. Il est entendu que, d’une part, la violence n’est pas l' apanage des hommes uniquement même s’il ressort des statistiques qu’ils sont plus nombreux à être sujets de plaintes pour de la violence physique que les femmes. Quant aux formes psychologiques de violence, les femmes ne sont sans doute pas en reste tant sont rares les individus présentant une maturité affective suffisante pour être capables de nouer de saines relations avec autrui. En conséquence, la plupart des axes de travail, développés ci-dessous, peuvent concerner les auteurs qu'ils soient hommes ou femmes. D’autre part, la clinique du sujet est au centre de nos préoccupations et non pas l’acte. Ni nous n’ignorons ce dernier, ni nous ne le négligeons ou minimisons et encore moins le justifions mais nous nous penchons sur l’être dont il émane pour comprendre comment il en arrive là, où, à redouter d’être malheureux, il fait le malheur d’autrui et crée presque automatiquement son propre malheur. Il y a lieu pour traiter cette question de la violence de sortir du dualisme pauvre victime/méchant bourreau, qui conduit trop de fois à prodiguer toutes les attentions à l’une et à punir ou à bannir l’autre pour entendre, voir et sentir ce qu’il y a en-deça et au-delà de l’acte mais aussi du discours sur l’acte.

4. Les racines de la violence conjugale

Sauf exception, les auteurs ne sont pas des malades au sens psychiatrique du terme mais ils présentent un trouble de la personnalité, avec des traits narcissiques, des tendances dépressives ou anti-sociales, des idéations de type paranoïaque, de la dépendance affective et une déficience grave dans le contrôle des pulsions hostiles. Ce trouble de la personnalité perturbe considérablement leur fonctionnement au cours de leur vie amoureuse, puisque la violence imprègne leurs interactions avec leurs partenaires.

La plupart des auteurs ont été, dans leur enfance, eux-mêmes victimes de violences familiales ou témoins des violences conjugales au sein du couple parental. Ils se sont sentis rejetés, non aimés, méprisés, humiliés, et surtout, dans ce contexte où la dépendance de l’enfant à ses parents est très forte, impuissants, obligés de réprimer la colère que cela générait en eux, sous peine d’accroître la maltraitance ou de perdre l’amour parental. Ils gardent au fond d’eux une blessure narcissique qui les rend particulièrement vulnérables à la critique et à tout éloignement de leur partenaire, avides aussi de gratifications et de reconnaissances.

De leur père, beaucoup d’entre eux ont une image de faiblesse, de personnes dépressives, en proie à des explosions de violence, de sorte que celui-ci n’a pu servir de figure d’identification adéquate, ce qui a des répercussions importantes sur leur estime d’eux-mêmes, leur propre image de soi, leur accès à l’autonomie, leur choix d’un partenaire amoureux et le mode de relation entretenu avec ce partenaire. A cause de cette faille identitaire, ils entretiennent un rapport conflictuel à l’intimité, d’ailleurs farouchement défendue.

A la fois, ils ont besoin d’apports extérieurs pour compenser leur déficit d’amour-propre et, à la fois, ils redoutent de se retrouver à nouveau à la merci de l’autre et de vivre encore de cinglantes déceptions. Ils dénient donc leur extrême dépendance à l’autre et prennent le contre-pied. Ils alimentent des fantasmes d’auto-suffisance et de supériorité. Ils imaginent qu’ils doivent être grandioses, parfaits, infaillibles pour plaire et ne pas être repoussés et ils attendent en retour de leur partenaire qu’elle soit conforme à leur idéal. Ils tentent alors de contrôler ses comportements, attitudes, paroles et même ses pensées afin d’asseoir leur mainmise sur leur partenaire. Derrière l’idéalisation d’eux-mêmes, de leur partenaire et de la relation se cache une peur du conflit qui représente un risque insupportable de rupture. Le drame est qu’ils n’entrevoient pas que de la sorte ils mettent la main dans un engrenage qui ne peut mener qu’à la désolation après une escalade de la violence.

Toute prise de distance (besoin de solitude, visite à une amie, silence, etc.), toute différenciation (un avis contraire, un reproche, parfois même une demande) et tout événement même anodin, apparenté à leurs blessures originelles, sont susceptibles d’activer des émotions douloureuses d’un autre temps, une angoisse dépressive insupportable et de déclencher une rage qu’ils ne contiennent pas et qui se déverse sur leur partenaire rendue responsable de les mettre dans cet état. En effet, les atteintes narcissiques ont entravé la constitution des instances régulatrices des pulsions si bien que, dans le cadre de la vie intime où les enjeux affectifs sont accrus, leur violence n’a pas de frein. Elle vise à faire taire l’autre, à la terroriser pour la soumettre à leur désir, à rétablir leur sentiment de sécurité précaire, à occulter la sensation de faiblesse qui les envahit, à se venger sur un substitut des torts qui leur ont été infligés dans le passé et à décharger les émois qui les débordent et les malmènent de l’intérieur.

La plupart des auteurs se considèrent comme victimes de leur partenaire, qui les provoquerait par son manque d’attention, par ses remarques, par la liberté qu’elle revendique, etc. en fait par son incompétence à combler ses carences et à réparer ses meurtrissures ou parce qu’elle échappe à leur contrôle. Tâche d’autant plus impossible qu’ils ont honte de leurs failles et refusent leur vulnérabilité. Lorsque le spectre de la séparation se matérialise, la dépression, masquée jusqu’alors, se révèle, avec des conduites auto ou hétéro-agressives. Les idées noires peuvent aller du suicide au meurtre.

On comprend ainsi que la problématique de la violence au sein des relations intimes ne peut être ramenée à un simple problème de domination masculine sur la gente féminine, héritée du patriarcat. Même si certaines croyances à propos de la virilité et du rôle de l’homme : être capable de pourvoir seul aux besoins du foyer, donner une image de force, de personne à la hauteur en toute situation, etc., perdurent, en justifiant en quelque sorte le recours à la violence, elles parasitent un peu plus l’accès à l’ambivalence (c’est-à-dire la capacité à s’accepter tel qu’on est) déjà invalidé par ailleurs. Bien sûr, la consommation d’alcool et/ou de drogue, par son action désinhibitrice, aggrave le problème mais la prise de substance ne peut pas non plus être considérée comme seule en cause ce qui est encore trop souvent le cas dans les esprits. Il faut rappeler qu’elle ne figure pas systématiquement au tableau clinique. On sait également que des événements tels que la perte d’emploi, l’invalidité ou la maladie grave mais aussi la grossesse de leur partenaire, etc. fragilisent un édifice bancal puisque, sans être des déclencheurs immédiats, ils accroissent le risque de passage à l’acte violent. En fait, les facteurs explicatifs sont pluriels et forment des assemblages qui diffèrent d’une personne à l’autre. Cependant, toutes ont en commun d’avoir un attachement anxieux et ambivalent à leur partenaire, triste et difficile héritage de leur enfance dont les conséquences pèsent sur leur existence. Les démêler pour toucher les racines de la violence est une tâche complexe qui demande de travailler simultanément sur les différents aspects qu’elle recèle : interactionnels, contextuels-environnementaux, historiques.

5. Objectifs de la psychothérapie

D’une manière générale, l’objectif poursuivi est clairement de mettre fin à la violence et donc de prévenir les récidives. Pour ce faire, nous n’avons pas de plan d’action préétabli car la problématique de chacun est spécifique. Les particularités individuelles exigent que nous adaptions le choix des outils à chaque cas de figure. Toutefois, nous disposons d’une sorte de carte des territoires à conquérir dont les chemins sont un peu comme les différents angles sous lesquels nous pouvons aborder le problème.

Plus intrinsèquement, il s’agit de restaurer le narcissisme du sujet pour qu’il puisse aborder le conflit à l’autre sans que celui-ci ne se double d’une lutte à ce niveau et qu’il aboutisse à une prise de pouvoir visant à annihiler toute différenciation. Quand les blessures de l’enfance ne sont plus à vif, que le sujet comprend que son histoire, aussi douloureuse qu’elle a pu être, a contribué à le façonner et qu’il fait la paix avec lui-même, ses failles constituent alors le lit de son humanité et sa vulnérabilité, le centre à partir duquel il peut rejoindre l’autre, autrement dit le plus précieux des trésors. Lorsque l’intimité n’est plus redoutée mais désirée, la relation conjugale n’est plus vécue sur le registre de l’adversité mais de la complicité. L’altérité n’est plus synonyme de danger mais de richesse et de partage. Nous avons conscience de l’ampleur de la tâche qui nous attend pour que cet horizon soit entrevu. Tel est le but ultime de notre mission, qui, donne la direction de notre travail, au même titre que les utopies sont l’étoile du berger du voyageur.

Avant d’être capable d’accoster au large d’Ithaque, plusieurs escales sont nécessaires. Au fur et à mesure de celles-ci, les apprentis marins se délestent du poids des souvenirs douloureux et remplissent les cales de nourriture pour l’âme. Le périple est long et laborieux, jalonné d’épreuves. Chaque tempête est l’occasion de tordre le cou aux peurs (peur de l’abandon, de l’humiliation, de l’échec…) pour n’en conserver qu’une : celle de se perdre à soi-même à force d’avoir peur. Pendant la traversée, les vieux démons tels que le vindicatif, le hargneux, le quérulent, l’impulsif, le colérique, etc., qui inévitablement refont surface, sont affrontés et désarmés afin de les rendre inoffensifs. Il y a aussi les habituelles rengaines du type « tu vas encore te faire avoir », « tu vois bien qu’elle se moque de toi », « tu ne peux pas te laisser marcher sur les pieds »…, qui résonnent comme le chant terrible des sirènes et qu’il faut apprendre à faire taire sous peine de noyade. Les miles creusent la distance avec les terres d’origine. Progressivement, le deuil de ce qui ne s’est pas passé, ou qui aurait pu se passer différemment et qui ne pourra plus jamais se passer parce que l’enfance est révolue, s’effectue pour qu’enfin d’autres réparations puissent s’opérer. La navigation en mer de l’Ombre est pleine d’embûches pour celui qui refuse de se confronter à son côté obscur mais pour celui qui ose se regarder en face, il découvre des continents inexplorés. Suivre leurs dédales est en quelque sorte un parcours initiatique vers le Soi, authentique. Le moi hypertrophié, compensatoire, devenu risible, est alors jeté par-dessus bord allègrement mais avec compassion. La voie est maintenant libre pour vivre une belle union.

Pour aller plus loin : Les axes de travail de la psychothérapie en groupe

Bibliographie

LEVERT, I., Les violences sournoises dans le couple. Paris, Robert Laffont, coll. Réponses, 2011.

LEVERT, I. Les violences sournoises dans la famille. Paris, Robert Laffont, coll. Réponses, 2016.

Isabelle LEVERT
Psychologue clinicienne
Psychothérapeute

avec la collaboration de
Jean-Jacques GERARD
Psychothérapeute
Avignon (84)

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