Psychologie du développement

3. Orientation psychanalytique

 

3.6. Les fondements de la psychanalyse freudienne

        3.6.2. Le concept de pulsion

             “...très souvent, dès l’enfance, il est fait choix d’un objet sexuel, de manière que toutes les tendances sexuelles convergent vers une seule personne et cherchent dans celle-ci leur satisfaction. Ainsi se réalise dans les années d’enfance la forme de sexualité qui se rapproche le plus de la forme définitive de la vie sexuelle. La différence entre ces organisations et l’état définitif se réduit au fait que la synthèse des pulsions partielles n’est pas réalisée chez l’enfant, ni leur soumission complète au primat de la zone génitale. Seule, la dernière phase du développement sexuel amènera l’affirmation de ce primat.... Un des caractères du choix sexuel est qu’il sera fait en deux temps par deux poussées. La première poussée commence entre deux et cinq ans, puis elle est arrêtée par une période de latence... Elle est caractérisée par la nature infantile des buts sexuels. La deuxième poussée commence à la puberté et détermine la forme définitive que prendra la vie sexuelle... Par suite du refoulement qui se place entre les deux phases, l’objet du choix n’est pas utilisable... L’adolescent ne peut faire choix d’un nouvel objet sexuel qu’après avoir renoncé aux objets de son enfance, et lorsqu’un nouveau courant sensuel apparaîtra.”[1].

Freud a été le 1er à distinguer le sexuel du génital qui concerne la sexualité adulte, donc après la maturité des organes génitaux. La sexualité s’étale sur toute la vie, elle vise l’obtention d’une satisfaction. Freud dit qu’il n’y a pas d’instinct sexuel mais une pulsion sexuelle.

Définition de la pulsion : Par pulsion, nous désignons le représentant psychique d’une source continue d’excitation provenant de l’intérieur de l’organisme, que nous différencions de l’«excitation» extérieure et discontinue. La pulsion est donc à la limite des domaines psychique et physique... les pulsions ne possèdent aucune qualité par elles-mêmes, mais qu’elles existent seulement comme quantité susceptible de produire un certain travail dans la vie psychique. Ce qui distingue les pulsions les unes des autres, et les marque d’un caractère spécifique, ce sont les rapports qui existent entre elles et leurs sources somatiques d’une part, et leur but d’autre part. La source de la pulsion se trouve dans l’excitation d’un organe, et son but prochain est l’apaisement d’une telle excitation organique.”[2]

Ø       La pulsion est définie comme un concept limite entre le somatique et le psychique. On n’a jamais affaire avec la pulsion mais avec sa représentation et les affects associés.

Ø       4 caractéristiques :

- la poussée : se traduit par l’exigence de travail imposée à l’appareil psychique dont le rôle est la maîtrise de l’excitation. La libido (latin : désir, envie, aspiration) est la manifestation dynamique (énergie) dans la vie psychique de la pulsion sexuelle. Elle est la transformation de la pulsion sexuelle quant à l’objet, au but (pas forcément sexuel), à la source. (cf. le passage de la libido narcissique à la libido objectale).

- la source : est le processus qui surgit dans un organe ou une partie du corps, l’excitation somatique. Un lieu du corps en état de tension, d’excitation, de manque. Sur le plan sexuel, n’importe quel point du corps peut aussi bien être l’origine que l’aboutissement d’une pulsion, c’est-à-dire érogénéisé (zone érogène). C’est pourquoi, les soins donnés au nourrisson sont si importants, de là dépend la façon dont l’adulte plus tard vit son corps et sa relation à l’autre.

- l’objet : est le moyen par lequel la pulsion peut atteindre son but. Il est très variable et non déterminé à l’avance dans le sens que la pulsion ne se réalise jamais, elle tend vers un but. Il y a  une tendance à la fixation aux premiers objets et transfert de l’attachement à des objets substitutifs. Il n’y a pas d’adéquation biologique, d’objet totalement comblant. L’objet de la pulsion est pris dans le fantasme. L’objet après lequel on court est constitutif de notre propre identité (infra).

- le but : Que cherche la pulsion ? Freud a apporté différentes réponses en fonction de l’évolution de ses recherches[3] :

-         Dans l’optique de la 1ère topique (Cs, Pcs, Ics), le raisonnement dichotomique conduit à distinguer seulement le principe de réalité et le principe de plaisir. Le but est alors la satisfaction qui permet la levée de la tension, de retrouver l’homéostasie interne, l’état d’excitation zéro. On parle alors de principe de Nirvana.

-         L’étude des névroses traumatiques[4] a permis de mettre en évidence la compulsion de répétition et, dans l’optique de la 2de topique (moi, ça surmoi), l’étude du masochisme et l’observation du fort-da ont révélé l’existence du masochisme érogène[5]. L’exemple du fort-da permet à Freud de comprendre que l’enfant a besoin de s’infliger à nouveau la douleur de la séparation avant de parvenir à dépasser la situation dans une anticipation, dans un retournement de la position passive en active. Le masochisme est érogène dans son possible dépassement. D’autre part, on peut expliquer certains aspects auto-destructifs de l’homme par le fait qu’il lui est insupportable de ne pas retrouver le même (cf. les enjeux de la résolution du complexe d’Œdipe).

Ø       Les pulsions sont difficiles à retrouver du fait de :
-               renversement sur la personne propre : substitution du sujet à l’objet
-               retournement en son contraire : activité - passivité, amour – haine
-               refoulement : pas de manifestation directe, retour du refoulé déguisé.
   
             Le refoulement scinde la pulsion en représentation et affect.
-               sublimation : substitution d’un but non sexuel à un but sexuel (la pulsion est transcendée)

Ø       Selon Lacan, le sujet fonctionne sur 3 registres en même temps et est à situer par rapport à ceux-ci : réel, imaginaire, symbolique. Le réel est ce qui n’a pu être imaginé, symbolisé, c’est-à-dire non conceptualisé, innommable. Le concept de pulsion est le point limite où on peut saisir la spécificité du sujet, son aporie, autrement dit, l’impasse où il se trouve de son existence et de sa définition, c’est-à-dire le point d’articulation de son existence. “La pulsion sera un des modes d’appréhension du réel”. Freud a constaté les états névrotiques avec l’hystérie dont il reconstruit le mécanisme (effet d’après-coup du trauma). Il comprend que le symptôme est là pour camoufler la source même de la pulsion. En psychopathologie, on repère l’organisation des pulsions dont le jeu constitue le moteur des névroses et de tout sujet humain.

Ø       Pulsions partielles
Pendant l’enfance (« pervers polymorphe »), la sexualité n’a pas d’objet, elle est autoérotique, elle a comme unique but de trouver un certain plaisir (plaisir d’organe) sur des zones corporelles séparées les unes des autres. Elle n’est pas en rapport avec un objet global extérieur à soi, mais elle se satisfait partiellement sur des parties isolées du corps. Elle est à l’opposé de la sexualité de l’adulte qui implique un choix d’objet :
-         pulsion orale (suçotement),
-         pulsion anale (mémoire),
-         pulsion phallique,
-         pulsion scopique (curiosité),
-         pulsion épistémologique (désir de savoir),
-         pulsion sadique (découpage de fourmis)

    Freud met en évidence que le développement libidinal fait passer cette organisation initiale autonome à des formes de plus en plus organisées. La sexualité normale est le résultat des pulsions partielles subordonnées au primat de la génitalité. Quand une pulsion partielle reste fixée dans l’état où elle était dans l’enfance ou sous l’effet d’une régression, elle fonctionne en marge de la sexualité adulte. « La grande différence entre la sexualité infantile et la sexualité mature est dans le passage du plaisir recherché en lui-même au plaisir obtenu dans la relation avec l’autre. Autrement dit, c’est dans le plaisir de l’autre que l’on parvient à son propre plaisir, mais encore faut-il que la relation soit faite de sécurité affective (confiance en l’autre) et de durée dans le temps (relation riche de possibilités) »[6].

     Les pulsions partielles ne s’unifient jamais complètement. Il y a toujours un reste de pulsions partielles non organisées qui se traduit par des traits de caractères (a. l’avarice est un trait issu de la pulsion partielle de rétention, pulsion anale ; l’individu tire sa jouissance du simple fait de posséder ; la générosité est l’autre versant. b. un enfant qui fait une « anorexie scolaire » refuse que ce savoir rentre en lui (cf. les problèmes liés à l’acculturation)) et donne toute la psychopathologie mais que l’on retrouve aussi dans la sexualité adulte normale au niveau des plaisirs préliminaires :
 - symptômes névrotiques (frigidité, nymphomanie, phobie,...)
- perversion (fétichiste, voyeuriste,…)
 - formations réactionnelles (honte, dégoût, morale,…) : “Les vertus de la morale ont la même origine que les symptômes névrotiques.”
- sublimation (peinture, écriture,…) : “Ainsi, la pression des pulsions perverses grâce à la sublimation accroît l’efficacité psychique, origine aussi de l’activité artistique et de la formation du caractère.”


[1] FREUD, 1905, p. 97-98.
[2]
FREUD, S., (1915), Pulsions et destins des pulsions in Métapsychologie, Paris, Gallimard, 1968, p. 11-44.
[3] Freud distingue d’abord les pulsions sexuelles (reproduction) et les pulsions d’auto-conservation (défense de la vie). Ensuite, dans la mesure où la survie est assurée par le moi, il retient les pulsions sexuelles et les pulsions du moi. Finalement, avec la découverte du narcissisme où le moi peut être objet pour le sujet (psychonévroses narcissiques), où il y a érogénéisation du corps mais aussi du moi qui devient objet sexuel (auto-érotisation), l’accent est mis sur l’orientation du désir vers le moi ou vers l’objet. L’opposition est entre les pulsions sexuelles et les pulsions d’objet. Dans la dernière théorie, les pulsions de vie sont opposées aux pulsions de mort dont la compulsion de répétition est l’expression, cherchant à rétablir un état antérieur indépendamment de sa qualité agréable ou désagréable.
[4] FREUD, S., (1923), Au-delà du principe de plaisir in Essais de psychanalyse, Paris, Petite Bibliothèque Payot, 1968, p. 7-81.
[5] FREUD, S., (1924), Le problème économique du masochisme in Névrose, Psychose et perversion, Paris, PUF, 1999, p. 287-297.
“Une autre partie [de la pulsion de mort] ne participe pas à ce déplacement vers l’extérieur [pulsion de destruction, pulsion d’emprise, volonté de puissance], elle demeure dans l’organisme et là elle se trouve liée libidinalement à l’aide de la coexcitation sexuelle (…) ; c’est en elle que nous devons reconnaître le masochisme originaire, érogène”. p. 291.
“Ce masochisme serait donc le témoin et un vestige de cette phase de formation dans laquelle s’est accompli cet alliage, si important pour la vie, de la pulsion de mort et d’Eros. (…) dans des circonstances déterminées, le sadisme ou pulsion de destruction, tourné vers l’extérieur, projeté, peut de nouveau être introjecté, tourné vers l’intérieur, régressant ainsi à sa situation première. Il donne alors le masochisme secondaire qui se surajoute au masochisme originaire”. p. 292.
[6] ANATRELLA, T., Interminable adolescence – Les 12-30 ans, Paris, Cerf/Cujas, 1993, p. 33.

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