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Isabelle LEVERT

Psychologue clinicienne

Psychothérapeute

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la dépression chez l'enfant

a quoi la repérer ?

Cet article propose une description des causes primaires de dépressions infantiles, qu'elles soient "normales" ou pathologiques car leurs racines sont identiques et qu'elles ont des conséquences potentielles sur le devenir de l'enfant. Les dépressions touchent à la perte et à la capacité de faire face ou non à celle-ci. Elles présentent un risque important pour la construction de la personnalité de sorte qu'il est primordial de distinguer les moments sensibles, structurants du développement, et les décompensations psychologiques.

Les dépressions développementales

On désigne sous ces termes les périodes de fragilités et de vulnérabilité dépressive qui correspondent à certaines phases critiques du développement pendant lesquelles s'inscrit, en filigrane du quotidien, une problématique de perte ou de manque (perte d'un statut privilégié, perte d'un objet* relationnel). Ces étapes sont essentielles à la construction de la personnalité et il est normal que l'enfant connaisse des moments "dépressifs". 

L'angoisse du 8ème mois

Ce moment est repérable lorsque, l'enfant, qui n'avait pas ce comportement auparavant, se met à baisser les yeux ou à pleurer en présence d'un étranger. Spitz donne à ce changement l'interprétation suivante : l'enfant est capable de distinguer les personnes familières de celles qui ne le sont pas et, face à un étranger, il ressent une angoisse en lien avec l'absence de sa mère. En effet, l'enfant identifie progressivement le monde extérieur et la reconnaissance d'autrui procède d'un double mouvement affectif. D'une part, dans le déplaisir, le petit enfant comprend que l'autre n'est pas lui ou un prolongement de lui-même. D'autre part, il focalise ses intérêts sur la ou les personnes qui lui apportent la satisfaction.
Spitz (1968) est aussi fort connu pour avoir mis en évidence la dépression grave des nourrissons orphelins pendant la guerre, au point qu'ils s'en laissaient mourir de faim, sauf à envelopper le biberon d'un linge ayant appartenu à leur mère.

La position dépressive

La peur de l'autre est présente dès le début de la vie. D'après Mélanie Klein, qui a beaucoup travaillé avec les enfants en tant que psychanalyste, la vie émotionnelle de l'enfant est déterminée par l'allaitement. Ces mois sont en effet marqués par une succession d'épisodes de retrouvailles et de perte de la mère. Lors des retrouvailles, le sein (l'objet partiel), ou la mère dans sa qualité de nourricière, est ressenti comme bon et active la pulsion d'amour. Lors des moments de manque, de frustration, le sein est perçu comme mauvais et éveille la pulsion de destruction. Pour s'en convaincre, il suffit de se souvenir des moments où, pour une raison quelconque, la mère ou le père n'a pas pu répondre rapidement à la demande du nourrisson et où des pleurs de rage ont continué quelques instants malgré la présentation du sein ou du biberon à l'enfant .

la dépression chez l'enfantC'est la multiplication et la répétition de cette expérience qui permet à l'enfant de comprendre que la mère est un tout. Lorsqu'il devient capable de la percevoir comme une personne entière (un objet total), il est en même temps en proie à l'angoisse, l'angoisse de l'avoir détruite par ses pensées coléreuses, voire haineuses. Il est essentiel que l'enfant accède à cette position dépressive et aux sentiments de culpabilité qui l'accompagne. A partir de là, il atteint la sollicitude et le désir de réparation qui lui permet de supporter en lui l'ambivalence de ses sentiments et de constituer son moi. Cette angoisse dépressive est donc le signe que l'enfant est en train de faire la synthèse entre les images positives et négatives de l'objet et les images positives et négatives et de lui-même.

Ce processus est tout à fait fondamental et tout au long de notre vie, nous sommes toutes et tous amenés à le revivre maintes fois puisqu'il est relancé lors de chaque expérience de perte. La façon dont il s'est déroulé dans la petite enfance a des conséquences importantes par la suite car s'il s'est mal effectué, les deuils peuvent être impossibles à surmonter. Winnicott, pédiatre et psychanalyste, insiste sur la nécessité que la mère soit suffisamment bonne. Il entend par là qu'elle soumet l'enfant à des expériences - son absence ou son indisponibilité psychique (la dépression maternelle peut être une cause de carences affectives) par exemple - auxquelles il peut faire face afin qu'il passe progressivement de la dépendance absolue à l'autonomie. Il souligne que si les défaillances de la mère dépassent les capacités de l'enfant pour les tolérer, les pulsions de destruction dominent (l'enfant craint d'avoir détruit la mère par son comportement passé ou de la détruire dans l'avenir)  et l'accès à la réparation est empêché par une culpabilité insupportable. Winnicott explique également comment la représentation se forme dans l'absence (c'est parce que l'objet manque qu'il est représenté) et comment les figures parentales fiables sont intériorisées pour constituer la sécurité de base - témoin que la position dépressive est élaborée.

La période oedipienne

De façon un peu caricaturale mais néanmoins vraie, le petit garçon désire épouser sa mère afin de maintenir avec elle une relation très étroite et, par là, il entre en rivalité avec son père que secrètement il souhaite voir disparaître mais que, par ailleurs, il aime aussi. N'ayant pas encore la faculté de clairement distinguer ce qui est de l'ordre du fantasme (inceste et parricide) et ce qui est de l'ordre de la réalité, il redoute de perdre l'amour de son père. Pour la fille, les choses se passent un peu différemment, sauf à rester dans un attachement trop fusionnel avec sa mère. D'emblée, elle sait qu'elle n'a pas les attributs sexuels nécessaires pour revendiquer une place privilégiée dans la vie de sa mère (comme celle de son père). Elle se tourne alors vers son père en espérant se faire préférer par lui et entre en rivalité avec sa mère. Elle aussi craint les représailles du parent du même sexe. On parle de résolution du complexe d'Oedipe, lorsque l'enfant intègre l'interdit (inceste et parenticide) et renonce à son désir d'évincer le parent du même sexe que lui pour, au contraire, s'y identifier, c'est-à-dire cherche à lui ressembler. La reconnaissance du tiers (le père) permet à l'enfant de donner une signification à la prise de distance de sa mère (au début de la vie, tout le temps présente et puis petit à petit réinvestissant autre chose que l'enfant) et ouvre l'espace psychique à l'altérité. L'enfant passe d'une relation duelle à des relations triangulaires (le père - la mère - l'enfant).

L'adolescence

L'adolescence est une période particulièrement sensible dont l'enjeu principal est de faire le deuil de l'enfance pour entrer dans le monde des adultes, ce qui implique une vision du monde et de soi-même plus nuancée mais aussi la possibilité de définir un projet de vie en accord avec ses propres capacités et valeurs et non plus en fonction des désirs parentaux. L'attitude des parents peut faciliter ou, au contraire, rendre cette transition plus difficile, notamment lorsqu'ils idéalisent leur enfant et espèrent, le plus souvent inconsciemment, assouvir leurs ambitions comme par procuration. Il y a un renoncement nécessaire à plusieurs niveaux dont les principaux sont :
- le deuil des imagos parentales en tout ou rien afin de percevoir les parents avec plus de réalisme (les parents ne sont pas tout-puissants), qui, lorsqu'il ne s'effectue pas, se traduit par une dépression de type objectale à laquelle est associée un sentiment de culpabilité ;
- le deuil des illusions personnelles qui peut se manifester par une dépression de type narcissique avec de forts sentiments de honte.
Il ne faut pas confondre les idées réellement dépressives de l'adolescence avec les questionnements et hésitations existentielles caractéristiques de cet âge et qui ressemble à une sorte de morosité (ennui, insatisfaction, inertie, initiatives avortées, etc.).
Voir aussi l'article sur le suicide adolescent. 

Les signes cliniques de la dépression "pathologique"

Chez le bébé, la dépression a pour conséquences possibles :
- une désorganisation psychosomatique (troubles alimentaires, du sommeil,...) ;
- un ralentissement, voire dégradation, du développement des fonctions cognitives ;
- une entrave plus ou moins durable aux processus d'attachement ;
- un repli sur soi, appauvrissement des échanges avec l'extérieur ;
- une utilisation de mécanismes défensifs nuisibles à terme, tels que le désinvestissement de la mère par l'enfant, l'identification à la mère « morte psychiquement » aux yeux de l'enfant ou à l'objet du deuil de la mère.
Le risque majeur est une atteinte irréversible du fonctionnement mental dans son ensemble.

L'expression clinique de la dépression prend une forme différente chez l'enfant et l'adolescent par rapport à ce qu'on observe en général chez l'adulte. Les éléments suivants peuvent en être les signes : 
- sentiment d'indignation,
- sentiment de dévalorisation, perte de l'estime de soi,
- troubles anxieux,
- sentiment de culpabilité,
- évitement, fuite face au travail scolaire,
- troubles des conduites, relations sociales difficiles,
- instabilité psychomotrice de type THADA,
- troubles de l'appétit (boulimie / anorexie),
- troubles du sommeil,
- idées suicidaires.
On note également une perte de la compréhension empathique de l'enfant d'autant plus que les commentaires des parents à son sujet sont négatifs (c'est un bon à rien, un paresseux, etc.).
Un des risques est une évolution en un trouble de la personnalité à l'âge adulte.

Il arrive que la dépression reste masquée, ce qui a de graves conséquences sur la construction de la personnalité. L'enfant parvient à avoir un semblant de vie sociale, scolaire, par la suite, professionnelle car l'affectivité est surcompensée par l'investissement intellectuel. Lorsque les éléments refoulés font retour, l'effet est bien plus destructeur que quand l'individu a pu prendre le temps d'exprimer et de dépasser sa souffrance. Deutsch (1937) note : "[...] on peut affirmer que la tendance très générale aux dépressions « immotivées » est la conséquence et l'expression de réactions émotionnelles qui ont été jadis refusées et sont restées jusque-là en attente, prêtes à se décharger".

Winnicott a étudié plusieurs défenses maniaques contre la dépression dont le vol. Il considère la tendance antisociale comme un SOS, la conséquence d'une véritable déprivation, c'est-à-dire comme la perte brutale de quelque chose d'affectivement bon. Le degré suffisant de maturité du moi permet à l'enfant de sentir que la cause du malheur réside dans une faillite de l'environnement, d'où le besoin de rechercher le remède (les objets volés sont des substituts) à l'extérieur, et lui évite d'entrer dans la psychose (refuge en soi et en-dehors de la réalité).

Les traitements

Il faut savoir que l'interruption prématurée d'une thérapie peut avoir des effets désastreux, d'où la nécessité que les parents l'investissent sans la subir comme une contrainte, ou une humiliation, voire une menace, qu'ils surmontent leurs réticences et qu'ils reconnaissent la dépression de l'enfant et acceptent d'avoir besoin d'une aide extérieure. Le traitement est parfois ressenti comme une ingérence par les parents qu'il faut aider à se réinstaller dans leur rôle. Voici ce qu'écrit Winnicott (1971) à ce propos : "[...] le traitement a eu sa propre force d'impulsion qui est apparue dès le début et a été sans aucun doute accrue par la confiance des parents et la confiance de la patiente vis-à-vis de l'analyste [...] dès le début, Gabrielle était venue pour travailler et que chaque fois, qu'elle arrivait pour son traitement, elle apportait un problème qu'elle était capable de dévoiler" (p. 21).

Le travail en psychothérapie analytique visera plusieurs niveaux :
- les positions relationnelles enfant/parents à la fois sur le plan de la réalité et sur le plan des images intériorisées ;
- le renoncement à l'objet perdu (la fusion intra-utérine et la symbiose des premiers mois sont révolues) ;
- l'élaboration du deuil (le sentiment de toute-puissance doit faire place à plus de nuances) ;
- l'abandon des attitudes défensives rigides afin d'acquérir une souplesse de fonctionnement psychique.

Le traitement se situe à l'interface entre un point de vue environnementaliste pur qui s'attacherait uniquement à l'influence des parents et un point de vue ontogénique qui ne considérerait que l'impact des conflits internes et des imagos parentales. Ceci a une incidence sur le dispositif des soins.

Dans le champ conceptuel des thérapies familiales, on considère que d'une part la réaction dépressive est liée à un contexte et, d'autre part, que la famille, disposant habituellement de qualité auto-curatrices suffisantes, est "en panne", voire aggrave les difficultés. Ce type de prise en charge est particulièrement indiqué lorsque la souffrance du ou des parents semble plus importante que celle du porteur de symptômes, qui lui, n'émet que peu de demande, voire pas du tout. Il s'agira donc d'aider le groupe familial à retrouver ses capacités propres à résoudre les problèmes. Sa mise en place précoce, par un effet de dédramatisation et de soulagement de l'angoisse, évite souvent que l'enfant acquiert le statut de "malade" ou d'"enfant à problème" avec son lot de bénéfices secondaires (attention supplémentaire, régime de faveur, etc.) qui ont souvent pour conséquence de faire perdurer le problème.

* Le concept d'objet désigne une modalité de la relation à l'autre telle qu'elle apparaît dans la vie fantasmatique de l'enfant et qui renvoie à un clivage de l'objet en bon et mauvais, selon que cet objet est ressenti comme gratifiant ou frustrant.
Le clivage est un mécanisme caractéristique de la phase schizo-paranoïde - phase qui précède la position dépressive. Il consiste à maintenir l'objet persécuteur et terrifiant séparé de l'objet aimé et secourable, assurant ainsi au moi une relative sécurité. Le clivage est une condition préalable à la constitution du bon objet interne à laquelle parviendra le moi une fois élaborée la position dépressive.

Bibliographie

KLEIN, M., (1932), La psychanalyse des enfants. Paris, PUF, 1972.
KLEIN, M. & RIVIERE, J., (1936), L’amour et la haine. Étude psychanalytique. Paris, Petite bibliothèque Payot,  coll. Science de l’Homme, 1973.
KLEIN, M., (1957), Envie et gratitude. Paris, Gallimard, 1984.
WINNICOTT, D.-W., (1958), La position dépressive dans le développement affectif normal in De la pédiatrie à la psychanalyse. Paris, Payot, 1969, pp. 231-249.
WINNICOTT, D.-W., (1971), La consultation thérapeutique. Paris, PUF, 1988.
WINNICOTT, D.-W, (1984), Déprivation et délinquance. Paris, Gallimard, 1994.

Isabelle LEVERT
Psychologue clinicienne
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