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Isabelle LEVERT

Psychologue clinicienne

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l'enfant exposé aux violences conjugales

Un réel traumatisme

Cet article, extrait du livre "Les violences sournoises dans la famille - De la transmission d'une malédiction à la réparation de soi", vise à souligner l'impact traumatique de l'exposition des enfants aux violences conjugales en relevant les principaux dilemmes auxquels ces situations les confrontent et en montrant les conséquences à terme.

1. Définition

L'exposition aux violences conjugales rentre dans le cadre des mauvais traitements psychologiques, d'autant plus que d'autres types y sont généralement associés :
- peur, menace : la violence conjugale fait vivre la terreur, l'intimidation (il crie tellement fort et il peut faire tant de mal)
- dénigrement
- négligence psychologique : indisponibilité de la figure parentale en souffrance, vidée de son énergie.
Ce sont des abus émotionnels qui constituent une forme de maltraitance.

Dans 70 à 85 % des cas de violences conjugales, l'enfant y est exposé.

Le niveau d'exposition peut varier :
1) prénatale : conséquences sur la santé mentale des mères
2) intervention : l'enfant essaie de protéger sa mère, il est impliqué et partie-prenante
3) victimisation : il attire les fougues sur lui
4) participation : l'enfant est instrumentalisé pour passer des messages ou blesser l'autre
5) témoin oculaire
6) témoin auditif
7) observe les conséquences de l'agression (blessures, venue de l'ambulance ou de la police...)
8) expérimente des changements dans son environnement
9) entend parler des scènes
10) n'est pas au courant

2. Témoignage

"Les événements qui m'ont le plus choquée :
- les violences psychologiques étaient quotidiennes. Il traitait notre mère d'incapable, de folle. Tout pour nous faire croire que notre mère avait tous les défauts de la terre.
- la tentative d'étranglement. Ma sœur et moi étions paniquées. Il y avait aussi la gêne vis-à-vis des voisins.
- les reproches au cours des repas. Il avait toujours quelque chose à redire.
- la manipulation était permanente, dans le mensonge et la médiocrité.
Il était le seul à avoir accès à la boite aux lettres. Il vérifiait le kilométrage de la voiture quand notre mère allait travailler. Nous avons demandé de l'aide à la police mais aucune plainte n'a abouti à une protection, ni de ma mère, ni de nous. Juste après, il disait que les policiers ne croyaient pas ma mère. Il inversait la situation.
- l'impuissance de ma mère et mon sentiment de culpabilité envers elle.
Après les disputes, la vie reprenait comme d'ordinaire. J'avais peur pour ma mère, une boule au ventre de stress. Je ressentais de la colère aussi parce que nous n'avions pas droit au bonheur. A chaque fête, j'avais un mauvais pressentiment.
Après le divorce, ce fut la délivrance mais j'ai besoin presque constamment que l'on me rassure, me valorise. J'ai peur de l'abandon, de revivre une situation similaire. La notion du père modèle est dégradée..."
(Propos recueillis lors du témoignage de Magali lors du Colloque "Les enfants exposés aux violences conjugales" du mardi 3 novembre 2009, organisé par Rheso).

3. L'impact immédiat sur l'enfant

Les violences conjugales, que les enfants y soient exposés de façon directe (témoins des scènes et/ou victime lui aussi) ou indirecte (témoins des marques physiques et de la détresse du parent victime), ont toujours un impact considérable sur eux. Même si les violences ne sont pas dirigées contre leur personne, elles constituent un réel traumatisme.

Souvent l'enfant ne montre pas son désarroi (50 à 60 % des enfants ne développent pas de symptômes) mais dans tous les cas, il souffre de la situation et est terriblement fragilisé par l'angoisse qu'elle génère. L'enfant, même petit, ressent le stress de sa mère ou de son père, ce qui influe sur la sécrétion de cortisol, hormone toxique quand elle est produite à long terme. Il est tout le temps en hypervigilance ce qui a un impact sur le développement des structures du cerveau. Son environnement familial est gravement perturbé. Dans ce contexte, ses deux parents, qui devraient être des soutiens indéfectibles, se révèlent incapables d'être des piliers sur lesquels il peut s'appuyer. Il ne trouve plus la sécurité dont il a besoin et pas non plus d'exemples valables pour se construire. En plus, il est obligé de se soumettre à l'autorité d'un adulte qu'il ne peut pas, dans ces conditions, respecter, qui, en imposant sa loi personnelle par la violence, transgresse la loi sociale.

La tension est permanente, la confusion aussi. D'une part, les accès violents sont imprévisibles et d'autre part, l'enfant éprouve des sentiments contradictoires pour l'auteur et pour la victime. A la fois, il aime l'auteur et à la fois, il lui en veut de faire du mal à l'autre parent. A la fois, il ressent de la compassion pour le parent victime et à la fois, il lui en veut de ne rien faire pour sortir de cet enfer. La violence conjugale corrompt l'enfant car elle le confronte à un modèle relationnel inadapté. Son profond malaise peut se manifester par des problèmes de comportement, des difficultés d'apprentissage, des troubles psychosomatiques (maux de tête, de ventre, etc.), de l'isolement et des difficultés d'intégration sociale.

L'enfant peut se sentir responsable du déclenchement des scènes. Désobéissance, mauvaise note, etc. ne sont que des prétextes aux explosions mais il se perçoit comme fautif. Il porte également une mission de sauvegarde du parent victime. Il est animé du fantasme qu'en son absence le pire peut arriver. Souvent, par loyauté à sa famille, il garde le silence vis-à-vis de l'extérieur. Il est ainsi dépossédé de sa vie d'enfant.

Lorsque la rupture conjugale arrive, l'enfant est en même temps soulagé et en même temps très angoissé par l'avenir. Trop souvent, il est instrumentalisé par le parent auteur de violences, que ce soit pour récupérer celui qui a voulu la séparation ou que ce soit pour lui faire du mal (cf. aliénation parentale, chapitre développé dans "Les violences sournoises dans la famille").

4. Les conséquences

L'ensemble du développement de l'enfant est affecté à court, moyen et long terme.
- sa santé physique
- son développement cognitif (langage, performances scolaires), émotionnel et comportemental (comportements à risque, délinquance, comportements inappropriés)
- sa construction identitaire
- syndromes post-traumatiques : des cauchemars, une anxiété accrue, peurs, reviviscence, rumination, hypervigilance
- repli sur soi
- une perturbation de sa capacité à entrer en relation au cours de sa vie d'adulte (atteinte de la confiance)
- des sentiments dissociatifs et des pensées obsédantes qui dénotent une mauvaise gestion des émotions
- des perturbations des relations intimes et risque accru de vivre également de la violence dans sa vie de couple.

On constate une différence de genre, c'est-à-dire que la souffrance ne s'exprime pas de la même manière chez les filles et chez les garçons. Chez les garçons, les problèmes sont externalisés avec un sentiment de menace et se manifestent par de la colère et de l'agressivité. Chez les filles, généralement, ils sont internalisés avec un sentiment de blâme (honte, culpabilité) et une tendance à s'attribuer la responsabilité du problème, à prendre la faute sur elle (lire à ce sujet, Les violences sournoises dans la famille).

5. La prise en charge

Un enfant exposé à la violence conjugale a besoin de recevoir des soins psychologiques et ses parents également car tant que son contexte de vie ne sera pas meilleur, il ne pourra pas aller bien.
Au cours des consultations, les aspects suivants sont travaillés : restitution des repères, déculpabilisation, responsabilisation parentale, reprise par chacun de sa place, deuil du parent idéal, gestion des émotions, ...

Exemples de prise en charge dans "Les violences sournoises dans la famille"

6. Perspectives

Le contexte de violences conjugales devrait systématiquement être pris en compte lorsque sont fixées les mesures concernant le droit de visite et d'hébergement. En effet, la rupture entre le père et la mère ne met pas fin à la dangerosité du partenaire violent (voir "Les violences sournoises dans le couple... et dans la famille"). Plusieurs aspects doivent être examinés.
Il est nécessaire de travailler à une parentalité en parallèle et de cesser de promulguer la médiation familiale. Celle-ci est grandement néfaste pour la victime et donc aussi, par ricochet, pour l'enfant.
Le mode relationnel spécifique de l'auteur est désastreux (autoritarisme, rigidité, laxisme extrême) et il est nécessaire de tout mettre en oeuvre pour qu'il ne soit plus banalisé ou considéré comme normal.
Le parent victime a tendance à modifier son style éducatif, comme pour compenser celui de l'auteur et/ou par culpabilité, ce qui est souvent préjudiciable à l'enfant.
La forte corrélation entre violence et troubles de la personnalité devrait conduire à une évaluation de la parentalité, c'est-à-dire des compétences parentales, avant de confier l'enfant à un parent auteur de violences conjugales. Il en est de même avec le risque de toxicomanie et d'alcoolisme, non systématiquement lié à la violence mais facteur aggravant. Les besoins de l'enfant, de la mère et du père, sont dans un tel contexte fort différents et nécessitent un réseau d'acteurs qui doivent travailler en concertation.
Les intervenants du champ psycho-socio-judiciaire doivent être mieux formés en la matière et recrutés avec plus de soin sans quoi des pans entiers de la problématique sont omis, avec le risque que les démarches de la (des) victime(s) se retournent contre elle(s). A la situation déjà difficile des victimes, se surajoutent encore trop souvent de la violence institutionnelle. 

Bibliographie

LEVERT, I., Les violences sournoises dans le couple. Paris, Robert Laffont, coll. Réponses, 2011.

LEVERT, I., Les violences sournoises dans la famille. Paris, Robert Lafonnt, coll. Réponses, 2016.

Isabelle LEVERT
Psychologue clinicienne
Psychothérapeute

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