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Isabelle LEVERT

Psychologue clinicienne

Psychothérapeute

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Le défi de la famille recomposée

Quelques conditions de la réussite

        Après les affres de la séparation, fonder une famille recomposée est un projet auquel aspire un certain nombre d'hommes et de femmes mais qui n'est pas toujours aisé à concrétiser. En effet, maintes difficultés se présentent en travers de la route, pourtant, vivre ensemble en harmonie est possible. Plusieurs conditions sont nécessaires à la réussite.

        Tout d'abord, il faut accepter que son conjoint ait un passé. Ceci n'est pas évident pour tout le monde. Certaines personnes éprouvent de la jalousie à l'égard de la vie d'avant de leur partenaire, de son ou ses ex et ne supportent pas que soient évoqués des moments heureux vécus sans elles, souvenirs qui déclencheront une scène ou de la bouderie. Elles s'hérisseront aussi lorsque les enfants feront allusion à leur mère ou à leur père, les arrêtant net par une remarque désobligeante ou une attitude de rejet, faisant un drame s'ils souhaitent accrocher une photo de leurs parents au mur, etc. Rien de mieux pour que les bambins prennent en grippe cette belle-mère ou ce beau-père qui implicitement attend d'eux qu'ils désavouent leur parent ou qui gommerait cette histoire commune qui la ou le dérange. Les enfants ont un père et une mère et leur droit d'avoir une belle relation avec l'un et l'autre doit être préservé. La nouvelle compagne de leur père ou le nouveau compagnon de leur mère ne pourra jamais remplacer leur maman ou leur papa.  Toutefois, la situation de famille recomposée offre aux enfants l'opportunité de nouer des attachements supplémentaires et de disposer d'un nombre accru de modèles identificatoires pour se construire. C'est souvent le manque de confiance en soi qui attise la peur que le conjoint regrette la rupture, fasse marche-arrière ou que les sentiments du conjoint pour soi soient moindres que ceux éprouvés pour l'ex... Il est impératif de faire la part des choses entre ses propres fantasmes et la réalité, entre ses craintes et les faits de manière à ne pas teinter négativement le partenaire de ses projections déformantes.

        Ensuite, il faut avancer tranquillement car la précipitation risque de compliquer beaucoup les choses et finalement de les ralentir, voire de faire péricliter le projet. Même si cela semble paradoxal,  prendre le temps permet généralement de gagner du temps. Il  est sain, dans un premier temps, que chacun conserve son logement. Ceci peut éviter d'entraîner tout le monde dans les envolées d'une passion qui se terminerait dans la déconvenue, ce qui arrive de temps en temps. Chacun a besoin de découvrir les autres petit à petit. Partager les week-ends et les vacances ensemble permet de faire connaissance en douceur, de détecter d'éventuels problèmes et de mettre au point des compromis. Dans un deuxième temps, le logement commun devra être assez grand pour que chacun dispose d'un espace personnel. Les enfants ont déjà subi l'éclatement du couple de leurs parents et vivent actuellement au sein de familles monoparentales, alternativement avec leur mère et leur père. Il leur a sans doute fallu un petit moment pour s'acclimater à ce changement. Il leur est maintenant demandé de s'adapter à un autre mode de vie : la famille recomposée, avec un beau-père ou une belle-mère et des enfants avec lesquels ils n'ont pas grandi. Pas facile ! Ils avaient pris l'habitude d'un parent complètement disponible pour eux, parfois même un peu trop laxiste par culpabilité de leur imposer la séparation,... Il se peut également qu'ils aient été trop gâtés  comme pour compenser cette difficulté. Quelques fois, l'autre parent ne se remet pas de la rupture et, à l'annonce de la récomposition, est encore plus déprimé ou critique ouvertement le choix de son ex si bien que les enfants sont pris dans un conflit de loyauté duquel ils peinent à sortir. Certaines fois, le fils a été chargé des missions du père et la fille de celles de la mère. Les enfants, en plein complexe d'Oedipe - culminant vers l'âge de 5 ans, en sommeil pendant la période de latence et réactivé à l'adolescence -, sur le moment, sont trop heureux de ces prérogatives (être l'homme de la maison ou la fée du logis pour papa) pour comprendre que tenir ce rôle va les parentifier avant l'heure et qu'ils devraient décliner l'offre et les responsabilités. Par la suite, le nouveau partenaire ne peut plus être perçu que comme un rival qui enlève à l'enfant ses privilèges, à cause de qui il doit arrêter de se mêler des conversations et se taire. Or, pendant plusieurs mois, quelques fois plusieurs années, il a occupé une place qui n'était plus celle d'un enfant et pas tout à fait celle d'un adulte si bien qu'il ne sait plus où se situer, ni ce que signifie rester à sa place. Il s'agit d'aider l'enfant à opérer la transition en lui restituant des repères clairs. La fin du célibat d'un des parents connaîtra d'autant moins de heurts que, précédemment, il aura été signifié à l'enfant que sa mère est aussi une femme, que son père est aussi un homme, que la place vide dans le lit conjugal est réservée au prochain amoureux ou à la prochaine amoureuse. De plus, si l'enfant a eu l'occasion de constater que la solitude pesait au parent et qu'il est capable d'altruisme, il désirera une rencontre pour sa mère ou son père et s'en réjouira. Le nouveau partenaire est alors accepté car il est  celui qui rend son parent heureux et dont le bonheur rayonne sur lui.

        Puis, concilier les cultures familiales différentes de chacun des partenaires peut s'avérer délicat car cela entraîne automatiquement une modification des règles de la vie quotidienne qui n'est pas toujours bien tolérée par les enfants, particulièrement par ceux qui n'ont pas eu jusque-là trop l'habitude d'obéir. Les compromis indispensables seront quelques fois faciles à trouver, d'autres fois, les négociations seront rudes et épineuses. Néanmoins, les deux parents (la mère d'une fratrie et le père de l'autre) devront s'interdire de discuter devant les enfants de leurs différends ce qui ouvrirait une faille dans laquelle les gamins pourraient s'engouffrer. Il est préférable de suspendre l'échange pour le reprendre en tête à tête, quitte à réserver la réponse faite à l'enfant. Quand les parents auront accordé leurs violons, ils parleront d'une seule voix. Si les parents ne font pas bloc face aux enfants, ceux-ci, consciemment ou non, utiliseront le hiatus pour former une coalition avec leur parent biologique contre l'autre partenaire. Chacun défend son "sang" et deux clans s'opposent en sourdine. Par contre, lorsque les figures parentales s'entendent sur l'éducation à donner aux enfants, il est courant de voir les deux fratries se souder pour obtenir des concessions ou un assouplissement des règles, voire se liguer pour rouspéter contre l'autorité. Dans une famille qui fonctionne bien, les générations font en quelques sortes front les unes contre les autres tandis que dans les familles qui dysfonctionnent, les générations s'interpénètrent et la hiérarchie devient chaotique. Donner une famille à un enfant, qu'elle soit naturelle ou recomposée, c'est aussi garantir un cadre à l'intérieur duquel il peut se développer et qui le rassure. Un môme qui fait sa loi, dont les parents cèdent au moindre caprice, ne connaît certes pas la frustration mais pas non plus la limite. Où ça s'arrêtera-t-il ? Cette sensation de non limite peut être vertigineuse et est très angoissante. L'excitation incessante de certains enfants a cette origine. Par ailleurs, la vie n'est pas un long fleuve tranquille et oblige l'être humain a de multiples adaptations. Le mouvement est permanent et inhérent à l'existence. Penser l'enfant comme capable de faire face à un nouvel environnement lui permet de le faire sans trop de frictions alors que le considérer en sucre c'est ouvrir une brèche qu'il sent inévitablement et dont il se servira pour résister et s'opposer à la nouvelle situation qui lui demande tout de même quelques efforts.

        Un autre aspect mérite une grande vigilance : les temps de présence des enfants au foyer. Ils peuvent différer et engendrer une divergence de statut. Certains enfants sont là en permanence, d'autres seulement les week-ends et la moitié des vacances, etc. sans compter les enfants nés du couple recomposé, qui ont le privilège d'avoir leurs deux parents unis. De petites attentions facilitent l'intégration des enfants qui rejoignent la maison ponctuellement telles que cuisiner leur plat favori, confectionner une étagère pour leur chambre, acheter le tome suivant de la collection de bandes dessinées commencée, ... On veillera à ce qu'ils sen sentent accueillis et à ne pas encombrer leur chambre, ni avec l'aspirateur ou la planche à repasser, ni avec les jouets des plus petits et encore moins la transformer en atelier de couture ou de peinture. Afin que tous aient le sentiment d'être sur le même pied d'égalité et de ne pas attiser d'inutiles rivalités, il n'y aura pas de traitement de faveur et les taches ménagères seront réparties entre tous, bien sûr en fonction des capacités de chacun. Pas de cendrillon au service de petits rois. Aider à la vie collective permet de s'éprouver comme membre du groupe de même statut, mêmes obligations et mêmes droits.

        Finalement, le soutien du partenaire est primordial pour trouver sa place de beau-parent. La cohabitation avec des enfants qui ne sont pas les siens n'est pas toujours facile. Par exemple, après la douche de sa fille, la salle de bain est un véritable chantier. Il y a de l'eau partout, la serviette traîne en boule sur le sol, le lavabo est plein de cheveux. Elle a huit ans et surtout l'habitude que sa mère passe derrière elle tout nettoyer. Quant à vos enfants, quand ils oublient de laisser la pièce dans un état correct, vous les ramenez à l'ordre. Vous houspillez donc sa fille. Première option, son père prend sa défense, argumentant qu'elle est encore petite et fait les choses à sa place. Cela vous énerve car vous pensez que si vos enfants sont capables de ranger, elle aussi et que ce n'est pas ainsi qu'elle apprendra. Deuxième option, il abonde dans votre sens. Vous vous sentez comprise et l'enfant obéit. La famille recomposée est une petite communauté qui comporte des règles à suivre pour le bien-être de tous et, sauf à renoncer au respect de ses valeurs, le beau-parent est forcément mis dans un rôle éducatif et légitime dans ce rôle lorsqu'il reçoit les enfants de son conjoint. Si ce dernier le disqualifie régulièrement, le beau-parent ne peut pas exister en tant qu'adulte. Il aura à juste titre l'impression que les mômes font la loi.  Diviser pour mieux régner pourrait devenir la devise des enfants qui n'en font qu'à leur tête, pourris gâtés, surprotégés et en fin de compte peu prêts à affronter la vie. Aux partenaires de ne pas tomber dans ce piège et de rester unis. Quand les enfants comprennent qu'ils ne font même pas vaciller le couple et qu'ils n'auront pas gain de cause, ils cessent leurs manigances.

        Pour conclure, recomposer une famille n'est pas une mince affaire mais le jeu en vaut la chandelle tant les bénéfices pour tous sont nombreux. Les enfants apprennent à partager, à faire des concessions, à s'adapter à une autre organisation de vie, à de nouvelles règles, à accepter la différence... Ils développent leurs facultés à vivre en communauté et à s'intégrer en société. Les enfants uniques découvrent les plaisirs de la fratrie, les plus grands peuvent devenir les benjamins ou l'inverse, les plus jeunes peuvent se retrouver en position d'aînés. La famille élargie s'est agrandie aux parents du beau-parent, à ses frères et sœurs, ses oncles et tantes, ... autant d'occasion d'avoir des références variées. Chaque partenaire peut apprendre de l'autre pour devenir un meilleur parent. Ceux qui n'avaient pas d'enfants peuvent nourrir leur besoin de maternité ou de paternité au contact des enfants de l'autre. Ceux qui souhaitaient une famille nombreuse sont servis. Après l'échec d'un premier couple, bâtir une famille recomposée où le climat est bon est une expérience réparatrice.

Isabelle LEVERT
Psychologue clinicienne
Psychothérapeute

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