Psychologie du développement

3. Orientation psychanalytique

3.8.5. La construction de l'identié - le moi

Désirer c’est essayer de dire l’indicible mais c’est aussi dépasser la coupure d’avec la Chose (cf. le rôle du masochisme érogène dans la symbolisation de l’archaïque) si bien que la jouissance est partielle (jouissance phallique[1]). La course désirante a des précipités : les identifications inconscientes. Autrement dit, on prélève sur l’objet un trait, une image, un symptôme : faute d’avoir, on devient un peu cet objet que l’on ne peut posséder. Le moi est donc une mosaïque des deuils successifs et des constructions d’objets substitutifs. Ce qui donne une unité dynamique à cette mosaïque, c’est la Loi. “Le moi procède du ça” (Freud).

Il faut distinguer :

1) l’identification globale : une seule et quasi mythique qui est l’identification au père de notre préhistoire. C’est une identification d’incorporation (fusion/confusion)

-         qui n’est pas vraiment une identification car il n’y a pas encore de séparation ;

-         qui est une identification aux traces mnésiques de la présence du père dans le lien à l’enfant ; c’est une introduction de l’instance tierce, séparatrice.

2) les identifications partielles,

o       l’identification narcissique : qui est une identification à une image globale de l’objet et qui est pathologique. On s’imagine qu’il y a un Autre qui sait tout, sans faille pour le devenir à son tour. Elle débouche sur la psychose maniaco-dépressive où l’alternance entre les états mélancoliques et les états maniaques dénoncent un fonctionnement en tout ou rien, une transition sans nuance entre le « j’ai échoué » (écart trop important entre le moi-idéal et l’idéal du moi) et le « j’ai tout réglé » (superposition du moi-idéal et de l’idéal du moi)  (cf. Freud (1915, Deuil et mélancolie, p. 147-148).

o       les identifications à une image partielle de l’objet :

-         identification imaginaire, avec par exemple les symptômes hystériques (cf. la toux de Dora) ;

-         identification signifiante ou symbolique (Lacan) ou identification régressive (Freud) : l’objet auquel on s’identifie est réduit à un trait, symbole de l’objet ;

-         identification fantasmatique (Lacan) ou identification à l’émoi (Freud) : une manière de s’approprier une jouissance à jamais perdue car l’émoi tient lieu de représentation de la jouissance impossible. C’est quelque chose de soi que l’on cherche dans l’autre et que l’on reconnaît dans l’autre puisque l’on était aussi cet autre avant.

Autour de l’énigme du sexuel, du trou dans le savoir, on commence à se questionner sur la jouissance dont on est issu (cette scène où l’on n’était pas) et ainsi se construisent toutes les théories sexuelles infantiles. Cette question du sexuel différencie l’approche psychanalytique de l’approche phénoménologique. Le fantasme commence avec cet échafaudage. Comment trouver l’objet ? Que font-ils ensemble ? Comment les satisfaire ? Le fantasme a besoin de l’identification signifiante et à l’émoi. Tout cela concoure à la construction d’une matrice signifiante de l’objet du désir. En même temps l’homme se construit. Le fantasme convoque tous les scénarii possibles mais il y a un garde-fou, la rampe du symbolique qui empêche l’imaginaire d’être délirant.

La fonction du moi est de construire une réalité en accord avec celle des autres, d’être capable de parler à l’autre, c’est-à-dire d’être dans un rapport à l’autre. Le moi passe par une blessure assumée. Le moi a une fonction d’adaptation et d’intégration. Freud dit que le moi est composé de 2 instances :

-         le Moi idéal :

1. Il représente la possibilité pour l’enfant d’assumer pour sienne une image humaine dans laquelle il se reconnaît. Il fait partie de l’ordre humain.

2. C’est le résidu, le substitut dans le moi de la toute puissance narcissique à laquelle j’ai dû renoncer. C’est perdu mais cela laisse une trace.

-         l’Idéal du moi : c’est l’instance qui fait que je construis l’objet de retrouvaille pour ne pas perdre l’amour

·        de celui qui a accepté la castration (amour narcissique secondaire) et

·        de l’autre comme objet d’amour dans lequel je vais pouvoir aussi me reconnaître puisque moi est un autre sauf que le “c’est toi” marque à la fois la similitude et la différence (le trait unaire est le premier signifiant auquel s’identifie le sujet séparé).

Ce pôle est articulé à la loi symbolique, c’est-à-dire à la nécessaire prise en compte de la séparation. L’idéal du moi est composé d’images marquées du sceau du symbolique. “Traumatisant ou non, le sevrage laisse dans le psychisme humain la trace permanente de la relation biologique qu’il interrompt. Cette crise vitale se double en effet d’une crise du psychisme, la première sans doute dont la solution ait une structure dialectique. Pour la première fois, semble-t-il, une tension vitale se résout en intention mentale. Par cette intention, le sevrage est accepté ou refusé.[2]

Dolto a d’ailleurs parlé de castration symboligène pour dire les nécessaires aménagements que nécessite la coupure pour être supportée et structurante[3] pour l’infant : mettre des mots sur l’arrêt de la tétée pour que l’enfant puisse construire une représentation de la perte du sein, une image. Tout dépend de la façon dont on a prêté des mots à l’enfant pour qu’il puisse construire même de manière rudimentaire une représentation qui tient compte de l’impossible, du désir de l’Autre. Cette construction d’image partielle conjoint le réel de la trace laissée et l’association de cette trace à l’ordre de l’imaginaire et à l’ordre du symbolique, c’est-à-dire que ce sont les mots prêtés qui permettent de construire l’image mais l’image est elle-même le support pour que s’inscrivent les signifiants (cf. image du corps).

A partir des castrations symboligènes, l’enfant dispose d’un pré-moi corporel qui se situe entre le moi-plaisir primitif et le moi-réalité. Entre les deux est intervenu le refoulement originaire qui instaure la course désirante. Au moment du miroir, les choses se précipitent, le “c’est toi”, en même temps qu’il permet à l’enfant de s’approprier une image (rassemblement des différents morceaux de l’image du corps), un corps, subit les conséquences de son assujettissement aux lois de la parole et du langage. Il est articulé à la loi du manque et cesse de croire à l’unification. Il n’est plus dans une totalité indifférenciée avec la mère. Au moment où il est illusionné de trouver, il est désillusionné par la nomination. L’illusion de trouver ne se produit qu’une fois mais laisse une trace. Il faut recommencer mais il y a toujours un manque que je ne peux saisir. Je suis obligé de recourir à l’autre pour m’approprier mon image. A partir du moment où arrive l’image spéculaire, le pré-moi corporel passe dans l’inconscient. Cette image inconsciente du corps explique le choix de l’organe sur lequel se fixe l’affect d’angoisse dans l’hystérie de conversion.

Les aléas de la construction identitaire donnent les lignes de clivage de la personnalité qui se révèlent au moment des décompensations. Les lignes de clivage, c’est toute l’histoire de l’entrecroisement de la libido narcissique et objectale, c’est toute l’histoire des identifications, c’est toute l’histoire de la course désirante, de la façon dont l’enfant a pu faire avec la jouissance phallique.

Erikson précise qu’on peut assigner au moi « le domaine d’une instance interne cautionnant une existence cohérente en filtrant et en synthétisant, dans la série des instants, toutes les impressions, les émotions, les souvenirs et les impulsions qui essaient de pénétrer dans notre pensée et réclament notre activité et qui nous mettraient en pièces s’ils n’étaient pas triés et contrôlés par un système de protection progressivement établi et constamment en éveil »[4].

Les opposés du moi sont le ça, le surmoi et l’environnement. La tâche essentielle du moi consiste à changer le passif en actif, c'est-à-dire à filtrer les injonctions de ses antagonistes de façon à les transformer en volitions. L’environnement humain est composé des « moi » des autres qui ont un sens pour l’individu. Erikson stipule que parmi tant de complexités inhérentes à la vie humaine, il faut placer avant tout la communication au niveau du moi où chaque moi met à l’épreuve les informations qu’il reçoit, d’ordre sensoriel et affectif, linguistique et subliminal, et qui entraînent confirmation ou négation de l’identité[5].


[1] Pour Lacan, l’homme qui sort du complexe d’Oedipe avec le complexe de castration reste dans la jouissance phallique, il craint pour son organe. La femme connaît un morceau de la jouissance au-delà de l’organe, la jouissance Autre qui a à voir avec quelque chose au plus près de l’originaire.
[2] LACAN, J., (1938), Les complexes familiaux. Paris, Navarin, 1984.
[3] Il importe que ces 2 instances ne se confondent pas, ne se superposent pas.
-          Quand moi idéal et idéal du moi se confondent, c’est le versant maniaque.
-          Quand l’écart entre moi idéal et idéal du moi est trop grand, c’est le versant dépressif avec le risque
o        ou que l’idéal du moi soit projeté sur une figure extérieure, sujet supposé savoir ou objet narcissique,
o        ou qu’hors de portée, la captation par l’imago maternelle tire le sujet vers la mort (cf. le narcissisme négatif).
[4] ERIKSON (1968), p. 219.
[5] L’école de Palo Alto a mis en évidence 3 figures d’invalidation du psychisme, d’atteinte au travail de penser et à l’édification de l’identité :
-          la disqualification : sorte de dénégation qui porte sur le sujet, non prise en considération brutale du désir de communiquer manifesté par une personne et ceci indépendamment du contenu de son message. Une personne après s’être exprimée se voit sanctionnée, dévalorisée, disqualifiée pour avoir pris l’initiative d’entrer en communication.
-          la mystification : dénégation qui porte sur le contenu du message, c'est-à-dire sur la perception de son vécu. Le vécu du sujet est falsifié, mystifié comme si le témoin savait mieux que le sujet lui-même ce qu’il ressent, comme s’il était dépositaire de la vérité de l’autre.
-          la double entrave (double bind) : le sujet en position de dépendance vis-à-vis de l’entourage est confronté à des injonctions doubles qui se contredisent (des mots qui disent l’amour et un regard qui dit la haine). La double bind a un effet destructeur 1) quand elle se renouvelle, 2) quand le sujet est dans une situation d’extrême dépendance à l’autre, 3) quand il n’a pas la possibilité de méta-communiquer, et 4) que la responsabilité de la conduite paradoxale est rejetée sur la victime.
L’école de Palo Alto dit que ce mode de communiquer devient un pattern de mode de relation caractéristique de la schizophrénie, Il s’agit d’une logique de l’ambiguïté face à laquelle 3 réactions sont possibles : - la fuite en dénonçant la situation, - critiquer l’incohérence (attaquer), - rester passif (inhibition).
Il s’agit de 3 formes d’atteintes portées à la subjectivité d’autrui au moment où il cherche à manifester sa singularité. Or le sujet humain signe sa spécificité d’humain par ses compétences d’einfühlung (ressenti, empathie), par ses capacités à s’accorder au registre émotionnel d’autrui. Le lien de confiance est sapé. Il en résulte un clivage entre l’aspect idéalisé de l’autre et l’aspect persécuteur. Les défenses qui interviennent lorsque la continuité fait défaut sont mobilisées pour préserver le self de l’anéantissement ou des agonies primitives.

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