Psychologie du développement

3. Orientation psychanalytique

3.7.2. La métaphore du nom-du-père

            L’enfant accède à la chaîne symbolique et au langage par la mise en place de la métaphore paternelle qui consiste à superposer le Nom-du-Père - le patronyme suffit à marquer la triangulation - à l’objet perdu. “Le Nom-du-Père est une désignation s’adressant à la reconnaissance d’une fonction symbolique circonscrite au lieu d’où s’exerce la Loi. C’est cette désignation qui est le produit d’une métaphore.” Cette superposition, par l’association du signifiant phallus à la Loi, entraîne le refoulement originaire (du 1er signifiant phallique S1) qui est une intervention intrapsychique assurant le passage du réel immédiatement vécu à sa symbolisation dans le langage. Le langage est un essai de désigner symboliquement par le signifiant Nom-du-Père (S2) son renoncement à l’objet perdu. S2 s’est substitué à S1, c’est la mise en place de la chaîne parlée. En nommant le père, l’enfant continue en réalité à nommer l’objet fondamental de son désir mais métaphoriquement car devenu inconscient. “le symbole du langage a donc pour vocation d’exprimer la pérennité de l’objet fondamental du Désir dans une désignation s’effectuant à l’insu du sujet.” C’est ce qui fait dire à Lacan que nous sommes « parlés ». Le langage véhicule des signifiants refoulés.

            La fonction essentielle du nom-du-père est d’être symboligène, c’est-à-dire d’apposer du sens sur la coupure du lien mère-enfant, opérée par le père représentant la loi de l’interdit de l’inceste mais qui est vectorisé par la mère. L’enfant est mis dans l’obligation de renoncer à être le phallus de sa mère et celle-ci de l’avoir. L’enfant, constatant que son désir, à elle, est ailleurs, chez le père, entre dans la dialectique de l’avoir, avoir le phallus. De la reconnaissance du manque émerge la demande. En effet, la symbolisation est une opération résolutoire d’un conflit entre un désir et un interdit,  né de l’obligation de renoncer à la Chose. C’est ainsi que le signifiant contient intrinsèquement la loi mais aussi l’originaire, ce qui fera dire à Lacan (1962-63) que l’objet a est derrière le désir.

La parole du père qui véhicule la loi du désir de l’Autre - l’Autre primordiale s’éloigne parce que son désir est ailleurs, signifié par la métaphore du nom-du-père - inscrit l’individu dans l’ordre symbolique, constitue son avènement au statut de sujet désirant, en donnant une orientation au désir, en reliant l’affect à une représentation et confère au sevrage une signification dans l’après-coup et le place dans l’histoire individuelle.

En fait, accéder à la satisfaction hallucinatoire du désir et par la suite, à la chaîne des représentations, suppose d’accepter la part de mensonge à soi-même et à l’autre que comporte le signifiant du signifié. Un mot ne dit jamais le tout de la chose. Donc, passer par le langage, c’est d’abord tolérer de perdre cette partie irreprésentable - dans l’image spéculaire, il y a toujours un trou, un indicible du corps, du narcissisme primaire, qui échappe (- φ). Lacan dira : “le manque n’est saisissable que par l’intermédiaire du symbolique”[1]. Par les mouvements continuels entre présence et absence, de l’affect au sens - la présence est dans l’absence et l’absence déjà dans la présence - le signifiant rend le signifié tolérable parce que sans cesse en cours de mise en représentation, en cours d’élaboration, et la réalité singulière de chacun prend forme.

Ce sens donné par l’Autre, puis, à partir du refoulement originaire, par le sujet, permet, par l’accession au symbolique, d’intérioriser la partie du moi (l’ancrage dans la corporéité du symbole) qui reste dans l’Autre du narcissisme primaire, qui est l’autre par l’identification imaginaire, qui est perdue parce que réelle et irreprésentable, de conserver la relation sécurisante à l’imago primordiale (supplantée par la “mère morte” chez l’état limite) et la confiance dans les capacités du moi, pour peu qu’il soit spécifié au sujet que, bien qu’il doive chercher ailleurs, il est désir et désirable, ce qui signifie donc une reconnaissance narcissique du sujet. L’espoir de retrouvailles d’un objet de satisfaction est à la source de la course désirante. Sortir de l’aspect mortifère de la compulsion de répétition implique de supporter le manque et de ne pas rester suspendu à la perte. Le manque permet de désirer et de se satisfaire de substituts (leurres qui soutiennent le fantasme) si le sujet se soumet, via la résolution du complexe d’Oedipe, au principe de réalité parce qu’alors, l’instance imaginaire symbolisée qu’est l’idéal du moi (vs le moi-idéal) et son prolongement le surmoi (vs le surmoi archaïque et féroce) visent des objectifs réalisables.

            La métaphore paternelle, en rompant l’assujettissement imaginaire à la mère et en conférant à l’enfant le statut de sujet désirant, est un moment radicalement structurant de la constitution psychique, par l’accès à la dimension symbolique. Avec le refoulement originaire, le désir ne peut plus s’exprimer qu’à partir du langage (aliénation au langage). “Il n’y a d’être que par la parole - Parlêtre” (Lacan). En corollaire, il y a une division du sujet par l’ordre signifiant, ce que Freud appelle « spaltung ». L’homme n’est représenté que par des signifiants qui ne sont que le reflet de son désir. Il y a toujours un décalage entre le mot et la chose, une déperdition dans le langage de la représentation des choses. “Le mot, c’est le meurtre de la chose”. C’est ainsi que tout objet de la demande est métonymique et ne comble jamais complètement le désir. Le désir d’Etre, refoulé au bénéfice du désir d’Avoir a imposé à l’enfant de s’engager sur le terrain des objets substitutifs. Le désir renaît continuellement car toujours ailleurs que dans l’objet visé. Il ne vise jamais qu’une partie du désir fondamental, c’est-à-dire un fragment de l’objet total perdu (le signifiant phallique). La métaphore du Nom-du-Père met l’enfant dans l’obligation de prendre la partie, c’est-à-dire l’objet substitutif, pour le tout.

            Le vide s’emplit d’angoisse devant l’irreprésentable de la perte quand le moi n’a pas les assises du symbolique pour border l’imaginaire et mettre à distance le réel. Selon l’intensité de la relation à la Chose, la perte du moi peut être gigantesque allant parfois même jusqu’à l’effacement des limites du moi par un mouvement de régression vers un état archaïque de fusion afin de retrouver le bien-être. Aucun mot n’est venu souligner au sujet qu’il existe et ainsi lui fournir un contenant pour se construire ou ne pas se déconstruire. Or, la convergence entre acte et parole fonde la reconnaissance de l’essence de l’être. Pankow qui axe sa pratique sur la notion d’espace vécu dit : “L’homme en harmonie avec son espace a besoin de références symbolisantes. Pour que le corps trouve une place reconnue, le langage doit situer l’homme dans ses relations avec autrui(...) Un symbole ne devient chargé de sens que pour autant qu’il concerne l’histoire vécue du sujet ; c’est seulement alors qu’il acquiert sa signification”[2].

Résumé :

-          L’enfant est identifié au phallus en tant qu’il est le désir de la mère (relation fusionnelle) ;

Alternance avec l’identification à l’image spéculaire (stade du miroir) = 1er temps de l’Œdipe ;

-          Intervention du père castrateur (Père imaginaire) dans 3 registres : privation, interdiction et frustration, rivalité phallique et déplacement qui conduit l’enfant à rencontrer la Loi du père = 2ème temps de l’Œdipe ;

-          En tant que le père se fait réellement préférer par la mère (Père réel), le phallus change de nature, de quelque chose dont la mère est privée, il devient quelque chose que la mère peut obtenir à travers le père, le père est investi comme celui qui a le phallus (Père symbolique) ;

-          L’enfant nomme son père et fait apparaître un nouveau signifiant : le Nom-du-Père qui se substitue au désir de la mère, ce dernier est refoulé dans l’Ics ;

A présent l’enfant peut accéder au symbolique en tant que sujet désirant, c’est-à-dire qu’il peut désigner lui-même l’objet de son désir.

 

[1] LACAN, J., (1962-1963), L’angoisse (séminaire inédit).
[2] PANKOW, G., (1986), L’homme et son espace vécu. Paris, Aubier.

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