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Isabelle LEVERT

Psychologue clinicienne

Psychothérapeute

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Perversions du lien amoureux

Connaître les violences sournoises pour les reconnaître

Cet article a pour objectif de présenter le concept de violences sournoises et de mettre en lumière ses accointances avec trois pathologies du narcissisme (mythomanie, paranoïa, perversion narcissique) aux traits pervers plus ou moins prononcés, d'où le titre de "perversions du lien amoureux". Il montre la nécessité de se pencher sur les  violences sournoises pour comprendre comment opère le processus de l'emprise.

Au début, l’avenir avec lui ou avec elle semble très prometteur. Chacun a le sentiment que l’autre est celui ou celle qui a toujours été attendu pour réussir son rêve d’une vie à deux. Les yeux pétillent, emplis d’étoiles. Les amoureux sont aux anges. Puis, un jour, dans le ciel de cette belle harmonie, les nuages s’amoncellent, l’orage éclate, puis un autre… De scènes en scènes, le mauvais temps s’installe de plus en plus. Les périodes d’accalmie revigorent d’espoirs mais un espoir empli de peurs que cela ne recommence.

Mais qui est donc ce partenaire qui avait tant charmé et qui maintenant déçoit tellement ? Que s’est-il passé pour que l’osmose initiale se soit transformée en enfer conjugal ?

Le mot « violence » n’est pas énoncé. Il manque dans le discours. Trop d’hommes et de femmes le réservent encore aux seuls cas où la violence touche à leur intégrité physique, même si celle-ci commence toujours bien en amont des coups. Les insultes commencent à être dénoncées comme violence verbale ou morale. Toutefois, de nombreuses autres formes de violences, moins aisément identifiables et tout aussi dévastatrices pour le psychisme, si ce n’est plus, ne sont pas reconnues et qualifiées comme telles. Mais pour cela, il faut disposer de repères. Il est nécessaire de connaître la violence sournoise pour la reconnaître.

Les violences sournoises ne sont pas spécifiquement une violence de genre, elles ne sont pas l’apanage d’hommes machos. Certaines femmes, à défaut de disposer de la force physique ou plus vicieuse, excellent dans la manipulation mentale et la perfidie. De plus, la plupart des auteurs de violence portent leur partenaire aux nues avant que les choses basculent de sorte que mettre leur violence uniquement sur le dos d’un machisme de base, d’un héritage socioculturel, est beaucoup trop réducteur. Dans la suite de mon propos, il faudra entendre le partenaire comme pouvant être un homme ou une femme.

Les violences sournoises sont des formes de violence psychologique particulières, non explicites et donc peu repérables et, ce, d’autant plus qu’elles sapent la confiance en soi, l’esprit critique, la contenance émotionnelle de la victime. Elles ne sont généralement pas le fait de personnalités impulsives, incapables de gérer la colère qui les envahit à la moindre contrariété ou marques d’irrespect ou attitudes interprétées comme telles, et dont ces personnes tentent de se décharger par l’agression physique ou verbale de l’autre, jugé coupable de les mettre dans cet état de nerfs, de les pousser à bout...

Les violences sournoises résultent d’interactions dysfonctionnelles, plus exactement perverses. Leur lieu privilégié d’exactions est le huis clos et particulièrement la relation de couple, mais pas seulement ; leurs auteurs les perpétuent également au sein de la famille, envers les membres les plus vulnérables que sont les enfants ou parfois les ascendants, et aussi dans l’univers du travail où l’enjeu professionnel et/ou économique empêche les victimes de claquer la porte pour sauver leur peau.

Une mise en garde s’impose ici avant de poursuivre. Il arrive qu’une personne recourt, de temps en temps, à une manière de faire ou d’être que l’on peut qualifier de malsaine sans que la personne soit elle-même perverse. Il importe de vérifier si, une fois dénoncé, ce comportement délétère peut être ou non remplacé par un procédé de meilleure facture, non pervers. A la mode, l’étiquette de pervers narcissique est quelques fois collée à tort sur le front de tel ou telle partenaire ou ex-partenaire alors que poser le diagnostic, difficile, devrait être réservé aux professionnels avertis.

S’intéresser à la psychologie des auteurs de violences sournoises permet de comprendre les raisons de leur incapacité à ne pas précipiter leur partenaire dans la désolation et se pencher simultanément sur les victimes permet de comprendre les motifs qui les incitent à poursuivre trop longtemps une relation tellement néfaste. Les situations les plus douloureuses m’ont amenée à pointer les projecteurs sur trois troubles de la personnalité : la mythomanie, la petite paranoïa – l’adjectif « petite » sert à préciser qu’il s’agit du trouble de la personnalité et non pas de la psychose paranoïaque -, et la perversion narcissique. En effet, tous les trois ont en commun de voir figurer au tableau clinique des traits pervers dont l’origine est intra-psychique mais dont les conséquences se déploient dans la sphère interpersonnelle. Il s’agit en fait de trois pathologies du narcissisme qui, au fur et à mesure des interactions, en viennent à mettre le narcissisme des conjoints en souffrance, parfois même, dans les formes les plus exacerbées, jusqu’à la perte de l’élan vital et l’annihilation. On se rend compte qu’il est primordial de découvrir les visages de la perversion du lien amoureux avant de n’être plus que l’ombre de soi-même, ce à quoi j’ai œuvré. Le fruit de ce labeur est présenté dans le livre que j’ai écrit (« Les violences sournoises dans le couple », paru aux éditions Robert Laffont en 2011, 334 pages) et dont cet article donne seulement un très bref aperçu.

Un peu schématiquement, au cours de la première phase de la rencontre, le mythomane travestit son personnage et se dote des attributs grâce auxquels il pense être plus séduisant, le parano, avant d’en venir à vouloir contrôler son partenaire se contrôle de façon à préserver son image de marque (il y tient comme à la prunelle de ses yeux), le pervers narcissique est tellement persuadé de sa perfection qu’il excelle à se glisser dans l’idéal de sa victime, à la capter et à la programmer pour la maintenir dans son scénario. Jusqu’ici, le partenaire pense vivre un conte de fées avec un prince ou une princesse. Cependant, il ne va pas tarder à être percuté de plein fouet par une toute autre réalité. Le virage de la relation se produit quand les histoires de plus en plus rocambolesques du mythomane présentent des incohérences et que son brio vole en éclats et avec lui la confiance qui lui avait été accordée, quand, pour des peccadilles, le parano sort de ses gonds, hurle, menace, terrorise et ainsi laisse percevoir de lui un facette nettement moins reluisante. Quand le partenaire exprime une insatisfaction, la relation avec un narcissique vire à l’aigre-doux. En effet, il a besoin du reflet de son image magnifiée dans les yeux de l’autre comme faire-valoir. Et quand ceci achoppe, il passe en une fraction de seconde de la passion (qui n’est pas de l’amour) à la haine.

On réalise déjà que le ou la mythomane s’inscrit en marge parce que ses mensonges visent à paraître héroïque et non pas à assujettir. Mais quand-même, il y a un forçage de l’attachement et lorsque le pot aux roses est découvert une amère désillusion, conduisant le mythomane, tel Sisyphe, a recommencé ailleurs le même drame, laissant derrière lui son partenaire honteux de s’être laissé embobiné. Quant à lui, le parano se vit comme un vilain petit canard et se méfie de tous, y compris de son partenaire de sorte qu’une véritable relation d’intimité ne se construit pas. Tout au plus des moments de fusion succèdent à la domination et au terrorisme relationnel, exercé sous le couvert de traits de caractère : susceptibilité, jalousie, rancune. Le paranoïaque de type sensitif se contient mieux. Il se retire pour ruminer sa hargne et paraît moins vindicatif. Le diagnostic différentiel avec le pervers est de ce fait parfois difficile à établir d’autant plus que l’un et l’autre ont en commun une hostilité foncière envers autrui. Cependant, chez ce dernier, elle est comme en filigrane, la destructivité est saupoudrée par fines touches, faite de petits riens. Elle est sans injures mais injurieuse, méprisante. Elle se fait ignorance de l’autre, dédain, indifférence. Non explosive, l’agression est pourtant réelle et récursive. L’emprise est telle que comme une proie dans une toile d’araignée, le partenaire est englué dans la relation. Usée, abusée sans aucune culpabilité, entrée en disgrâce, la victime s’échine quand-même à sauver son couple. La relation est déséquilibrée. Le pervers ne fournit aucun effort. Les partenaires sont pour lui ou pour elle interchangeables.

Selon la pathologie du narcissisme dont il est question, les types de violences sournoises sont différents avec quelques chevauchements, surtout entre le trouble de la personnalité paranoïaque et le pervers narcissique. Plus les procédés utilisés sont insidieux et plus les atteintes psychiques de la victime sont importantes. Les violences sournoises font partie intégrante du processus de l’emprise.

Bibliographie

LEVERT, I., Les violences sournoises dans le couple. Paris, Robert Laffont, coll. Réponses, 2011.

Isabelle LEVERT
Psychologue clinicienne
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