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Isabelle LEVERT Psychologue clinicienne Psychothérapeute |
La perversité à l'œuvre dans le mythe de Pandore
L'acting-out d'un narcissisme blessé
Dès les premiers mots du mythe de Pandore : « il se vit dupé par Prométhée aux pensées fourbes », on perçoit que Zeus n’avait pu se douter du fonctionnement pernicieux de Prométhée et que tomber dans le piège tendu était pour lui inimaginable. Il est tellement révolté et inondé de colère d’avoir perdu la face que « l’âme en courroux », il décharge la destructivité qui l’envahit sans aucune retenue. Il a mal et croit soulager sa douleur en se vengeant sur les hommes et il cacha le feu aux hommes.
Zeus est trompé coup sur coup, une première fois par Prométhée et une seconde fois par Japet qui pour les hommes vola le feu et rit de lui. Des dieux ont eu le front de se confronter à lui, de réussir leur entreprise et, par-là, de pointer ses failles. Son sentiment d’omnipotence devient bancal. Il est blessé dans son orgueil et, en plus, la proie des moqueries. Zeus, dont l’égo est hypertrophié, ne peut pas supporter d’avoir été destitué du piédestal où lui-même se mettait. Il ne peut surmonter l’épreuve et accepter ses faiblesses. Il se venge de l’affront aux travers des hommes à naître, soumis à une punition qu’ils n’ont pas méritée. « De ce jour aux hommes il prépara de tristes soucis ».
C’est ainsi que des personnes font mal parce que, atteintes dans leur narcissisme, elles endurent une souffrance qui les dépasse, parce que la désillusion les laisse à vif, elles en deviennent comme enragées mordant quiconque se trouve à leur portée. Afin de sauvegarder leur sentiment de toute-puissance, il se peut qu’elles se vengent brutalement sur d’autres des blessures infligées. Mais il n’est pas rare que ce venin soit distillé sporadiquement, à petites doses si bien qu’il est encore plus difficile de s’en protéger parce que le processus est plus vicieux. Le bourreau, souvent assez fin pour déceler le talon d’Achille, de son interlocuteur, jouit alors d’y enfoncer de petites aiguilles à l’effet délétère, soulagé de voir l’autre souffrir à son tour.
« Je leur ferai présent d’un mal, en qui tous, au fond du cœur se complairont à entourer d’amour leur propre malheur » dit Zeus. Sans le savoir, les hommes aimeront ce qui leur fera le plus mal, complaisant à l’égard des monstruosités infligées, espérant sans doute que la persévérance et plus d’amour encore changeront les choses et rendront son éclat au rêve des débuts. Zeus commande la fabrication d’une créature : Pandore et toute sa Cour lui obéit, participe et se rend ainsi complice de l’injustice. Les conditions de la confection de Pandore pourraient symboliser la méprise de celui qui, par lâcheté ou pour s’attirer la sympathie, se taît devant l’absurdité, ne risque pas sa place mais perd son humanité. Il alimente la rancœur et la hargne d’une âme en peine et accroît les souffrances du monde. La raison pour laquelle tous les dieux ont mis la main à la pâte pourrait résider aussi dans l’écho que le camouflet reçu par Zeus a trouvé en eux, entrant alors en identification avec ce dernier. Dans les mots « aux hommes qui mangent le pain », on peut sentir du mépris envers ceux réduits aux contingences du corps, comme si échapper aux nécessités matérielles conférait une supériorité aux habitants de l’Olympe.
L’apparence dont Pandore est dotée fait d’elle une femme irrésistible mais à l’esprit impudent et au cœur artificieux. Les colliers d’or dont elle est parée représentent l’art de la persuasion grâce auquel elle ferrera sa victime. Elle disposera les mensonges et les mots trompeurs comme les mâchoires des étaux. Cette femme aux allures divines est un piège tendu aux hommes. Le monstre a un visage d’ange, tels de nombreux manipulateurs.
Prométhée, conscient du danger pour s’être déjà frotté au maître de l’Olympe, avait prévenu Epiméthée de renvoyer tout cadeau de Zeus. Il savait que ce qui venait d’un être à l’autorité bafouée, dieu parmi les dieux, ne pouvait être que dévastateur. Il en est de même des petites phrases incendiaires en provenance de ceux qui ont l’arrogance de se croire sans ombrage. Entendre ces paroles-là c’est toujours courir le danger de douter à mauvais escient de soi et de rester sans repères, parfois au point de supporter l’insupportable. Elles sont comme la pomme empoisonnée que Blanche neige croque, trop effrayée par cette vieille femme et trop gentille pour décliner l’offrande. Il n’est pas de bon ton de refuser ce qui est donné pour faire plaisir. Prétendument dites pour rendre service, les critiques assassines ne servent que leur auteur qui brille par contraste. Epiméthée, qui ne songe pas à mal et qui n’a plus en mémoire la mise en garde, accepte malheureusement le présent. La description « son piège ainsi creusé, aux bords abrupts et sans issue » évoque l’image d’un gouffre aux parois duquel il est impossible de s’agripper pour ne pas chuter sans fin.
Pandore, en tant que femme, dont l’anatomie figure les différences d’un ordre plus subtil entre l’autre et soi. Sur elle, se focalise le malaise éprouvé devant l’inconnu, l’inquiétante étrangeté de l’alter ego (à la fois même et si différent que soi), toute la conflictualité éveillée par ce que l’on ne comprend pas ni de l’autre ni de soi. Il est aisé d’y projeter tout ce qui est intolérable en soi. C’est elle qui sème la pagaille dans les vies, la zizanie dans les couples et les tourments sur la terre. Trop curieuse, elle veut savoir, regarder dans la jarre dont il était pourtant interdit de soulever le couvercle. Maudite femme qui n’a pas pu se tenir tranquille, qui a voulu aller au fond des choses. Voilà ce que pensent sans doute ceux et celles que la perspicacité de leur partenaire effraie, qui se sentent nu(e)s et vulnérables de dévoiler leurs tracas, que les propositions d’aide culpabilisent comme s’il fallait être invincible et capable de tout surmonter seul(e). Maudites femmes qui en veulent toujours plus, qui rêvent de choses prodigieuses convaincues que c’est possible mais qui renvoient aux hommes un pâle reflet d’eux-mêmes.
Pandore a répandu sur le monde les maux et tous pleurent le bonheur passé. Alors, épouvantée, elle referma la jarre mais trop tôt pour que l’espoir apparaisse à son tour. L’espoir demeuré au fond de la jarre ne put pas se partager et grandir. Lui-seul eut pu les ragaillardir et dessiner un sourire sur leurs lèvres. L’espoir est la lumière qui souvent manque pour traverser le sombre tunnel. L’espoir est ce qui permet d’affronter l’adversité fort de la confiance en un lendemain meilleur. Mais quand il fait défaut, sa cruelle absence noircit le ciel et le froid paralyse les énergies. L’espoir est l’oxygène de l’âme. Quand l’espérance se meurt, le cœur se déchire.
Les défauts de Pandore sont le résultat des foudres de Zeus. Elle n’eut sans doute pas été ainsi sans les débordements de Zeus. L’ayant voulue curieuse, lui mettre la jarre entre les mains, c’est la pousser à la faute : violer l’interdiction. Elle a été incitée à commettre le délit et pourtant elle est seule rendue responsable du pire. Qui penserait encore à condamner le commanditaire machiavélique de cet acte ? Malgré qu’il ait tout voulu régler dans le moindre détail, le mythe nous dit aussi qu’aux côtés des maux résident l’espoir, ce que Zeus n’a pas pu empêcher, et ce pourquoi il force Pandore à vite recouvrir la boîte.
Les épreuves de la vie peuvent être des sortes de passage initiatique vers d’autres dimensions de l’existence à condition que, tel un manteau soyeux et chaud, l’espoir enveloppe les hommes. En revanche, sans lui, terre et mer sont emplies de tristesse et les hommes souffrent en silence, privés de parole par Zeus. « Ainsi donc il n’est nul moyen d’échapper aux desseins de Zeus » : ce qui peut vouloir signifier que sans le verbe, il est impossible de sortir de l’impasse.
Bibliographie
LEVERT, I., Les violences sournoises dans le couple. Paris, Robert Laffont, coll. Réponses, 2011.
Isabelle LEVERT
Psychologue clinicienne
Psychothérapeute
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