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Isabelle LEVERT

Psychologue clinicienne

Psychothérapeute

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Le roman familial : une étape du développement

Les fonctions et les formes du fantasme  

Dans cet article, nous présentons la notion de roman familial telle qu'elle est utilisée dans le champ de la psychologie, ses fonctions dans le développement de la personnalité. Nous signalons qu'il existe des versions inversées car le roman de la déchéance est sans doute une des clefs pour comprendre la mythomanie.

photo Barroux Vaucluse 84      Les termes de « roman familial » désigne les fantaisies enfantines qui consistent à imaginer avoir été adopté ou kidnappé et à s’inventer d’autres parents plus aimants, plus comblants, plus compréhensifs ou plus prestigieux. Freud pose en principe cette étape du développement et précise qu’elle n’est pas réservée aux névrosés. Il explique que ce fantasme est une parade aux frustrations imposées à l’enfant par ses parents et qu’il vise deux buts : l’un érotique et l’autre ambitieux mais qui au final se rejoignent car à ce résultat « concourent, entre autres, les plus intenses motions de rivalité sexuelle »[1]. Il trahit la nostalgie des temps où les parents étaient tout pour l’enfant. La surestimation des toutes premières années de l’enfance reprend ses droits dans ces inventions qui signent la difficulté à se détacher des parents.

On peut distinguer deux stades, le premier asexuel et le second sexuel. Le passage de l’un à l’autre s’effectue par la reconnaissance de la différence entre le père et la mère en ce qui concerne la sexualité, lorsque l’enfant saisit que la mère est certaine (elle porte l’enfant dans son ventre) tandis que le père incertain (il dépose simplement sa semence), mais aussi procède d’une tendance à se figurer des situations et des relations érotiques ; la force de la pulsion qui intervient ici est le désir de mettre la mère dans la situation d’être secrètement infidèle, d’avoir des liaisons amoureuses cachées. En effet, selon Freud, de tels fantasmes se rattachent à la situation oedipienne et naissent sous la pression pulsionnelle. Leurs contenus dénoncent un désir de rabaisser les parents sous un aspect et de les valoriser sous un autre, le besoin de grandeur pour être en mesure de rivaliser avec le parent du même sexe, les tentatives de contourner la barrière de l’interdit de l’inceste et du parricide et aussi, l’expression de la jalousie entre frères et sœurs, etc. 

Selon Freud, l’ambition est également au service de la satisfaction pulsionnelle. A mon avis, cette proposition doit être nuancée puisqu’elle se rapporte uniquement au cas où le passage du stade asexuel au stade sexuel s’est effectué, ce qui suppose l’activation du conflit oedipien et l’accès à des relations triangulaires (père-mère-enfant). Or, certaines organisations de la personnalité se caractérisent par un abord particulier de la situation oedipienne, nommé par Green (1983)[2] : bi-triangulation, où la reconnaissance de la différence des sexes cache un clivage en bon ou mauvais, intrusif ou délaissant, d’un objet unique. Dans ce contexte, il est probable que le rôle du roman familial dans l’économie psychique de l’individu est essentiellement de soutenir un narcissisme déjà fragilisé par ailleurs. Enivré par le sentiment de toute-puissance retrouvé, le risque est de s’accrocher à cette illusion comme un naufragé à une bouée.

Le roman familial atteint son apogée à l’adolescence, moment où la crise identitaire est à son comble. Dans la plupart des cas, il s’effrite de lui-même au fur et à mesure que les vrais parents sont acceptés avec leurs qualités et leurs défauts, ce qui a lieu conjointement à l’intégration des images positives et négatives de soi. Pour ceux qui n’atteignent pas cette position, les figures idéalisées du roman familial sont appelées à la rescousse pour magnifier leur image de soi. L’enfant n’existe que grâce au regard de sa mère et de son père, tout premier miroir qui a laissé des traces non négligeables dans la construction identitaire.

Ferenczi a mis en évidence une autre version du roman familial[4] en remarquant que, chez certains, il est inversé c'est-à-dire que les parents inventés appartiennent à une catégorie sociale inférieure. Eclairé par les recherches d'Otto Rank, il rapproche ces situations de quelques grands mythes (la légende de Romulus et de Rémus et l'histoire de la naissance de Moïse). La mythomanie paraît être un des avatars du roman familial non liquidé, y compris lorsqu’il s’exprime sur le versant de la déchéance. Se sentant mal aimés ou l’étant réellement, fantasmer des origines moins nobles confère une sorte de légitimité à leur souffrance et à leur honte d’eux-mêmes ; s’il n’est pas aimé c’est qu’il est indigne. L’image du miroir correspond ainsi à leur ressenti intérieur qu’ils ne peuvent verbaliser.

Les notions, abordées rapidement ici, sont plus amplement développées dans mon livre "Les violences sournoises dans le couple" dont la première partie est consacrée à la mythomanie.

[1] FREUD, S., (1909), Le roman familial des névrosés, in Névrose, psychose et perversion, Paris, PUF, 1973, pp. 157-160.
[2] GREEN, A., (1983), Narcissisme de vie, narcissisme de mort. Paris, Les éditions de minuit, coll. “critique”.
[4] FERENCZI, S., Le roman familial de la déchéance

Isabelle LEVERT
Psychologue clinicienne
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