Psychologie du développement

3. Orientation psychanalytique

 

3.6. Les fondements de la psychanalyse freudienne

        3.6.3. Les stades de l'investissement libidinal

f) La bi-triangulation

            Quand l’enfant est dans l’impossibilité de tolérer l’ambivalence de ses sentiments, à cause de la survivance d’un sentiment de culpabilité primitif, le non dépassement de la phase schizo-paranoïde[1] empêche d’accéder à la position dépressive, à la constitution d’un objet total où les aspects positifs et négatifs des images de soi et de l’objet sont intégrés. Green[2] a conceptualisé cela avec le terme de bi-triangulation où la différence des sexes cache un clivage en tout bon d’un côté et tout mauvais de l’autre.

La relation avec un objet fantasmatiquement idéalisé est inévitablement un jour ou l’autre décevante. Face à cette déconvenue, la dévalorisation de l’objet mène à son désinvestissement. La relation objectale est pathologique. L’intensité pulsionnelle éveillée au contact de l’autre est trop importante pour un moi trop faible dont la faiblesse est due à la non neutralisation des pulsions agressives par les pulsions libidinales. Le moi est débordé et le risque d’effraction du pare-excitation conduit à l’évitement de toute situation dangereuse, telle la situation oedipienne. C’est le cas des états-limites et des anorexiques.

g) Le faux-self

            “(...) le sentiment de culpabilité dans ses rapports avec les pulsions et les idées d’agressivité et de destruction, et c’est seulement lorsque le malade est capable de comprendre ce sentiment, de le supporter et de l’assumer, qu’on voit apparaître un besoin de réparation (...) dans la pratique clinique cependant, nous avons affaire à une fausse réparation qui n’est pas spécifiquement apparentée à la culpabilité du malade (...) mais la défense organisée de la mère contre sa dépression et sa culpabilité inconscientes à elle.”[3]. Winnicott veut dire par là que l’enfant peut être inclus dans les défenses maternelles contre la dépression (cf. importance des cryptes et de la transmission transgénérationnelle), ce qui l’empêche d’atteindre sa propre position dépressive suite à ses fantasmes sadiques et donc la culpabilité (le sentiment d’être responsable de la perte de l’objet) et les possibilités de réparation et de restauration. L’enfant a grandi pour protéger la mère contre sa dépression, dans le but de réparer la mère, de la réanimer et non selon son évolution personnelle. L’enfant est devenu le psychiatre de ses parents (Ferenczi). “(...), c’est le terrorisme de la souffrance. Les enfants sont obligés d’aplanir toutes sortes de conflits familiaux, et portent sur leurs frêles épaules, le fardeau de tous les autres membres de la famille”.

Cette censure par l’enfant de tous les mouvements pulsionnels que la mère ne peut contenir constitue la progression traumatique et débouche sur un fonctionnement en faux-self, une pseudo adaptation à la réalité. “La mère qui n’est pas suffisamment bonne n’est pas capable de rendre effective l’omnipotence du nourrisson et elle ne cesse donc de faire défaut au  nourrisson au lieu de répondre à son geste. A la place, elle y substitue le sien propre, qui n’aura d’autre sens que par la soumission du nourrisson. Cette soumission de sa part est le tout premier stade du faux « self » et elle relève de l’inaptitude de la mère à ressentir les besoins du nourrisson”[4].

h) Fonctions du conflit oedipien

-         L'enfant passe d'une relation d'objet duelle à une relation d'objet triangulaire. C'est la relation adulte génitale par excellence.

-         Par l'interdit du parricide et l'interdit de l'inceste, l'enfant passe de la nature à la culture. Il est soumis à la loi commune sociale, loi d'échange et d'interdiction.

-         Il accède à la différence des sexes grâce à l'identification au parent du même sexe que lui. L'identification se fait sur les plans morphologique et psychique. Il reconnaît par la même occasion l'Autre comme différent.

-         Les interdits et des exigences parentales et sociales assumées sont intériorisées et constituent le Surmoi dans son versant de censeur. Il est l’héritier du complexe d’Œdipe et fait suite à un surmoi archaïque.

-         L’idéal du Moi est l’autre versant du Surmoi. Il est une sorte d’idéal auquel le sujet cherche à se conformer. Insuffisamment constitué, le sujet reste en proie au moi-idéal (toute puissance).

 « Le surmoi est ici conçu comme un représentant plus archaïque, plus profondément intériorisé et plus inconscient du penchant inné de l’homme à développer une conscience primitive et catégorique. Ayant partie liée avec des introjections précoces, le surmoi demeure ainsi une instance rigidement vindicative et punitive d’une moralité « aveugle ». L’idéal du moi, en échange, semble d’une façon plus souple et plus consciente se rattacher aux idéaux d’une époque historique particulière, en tant qu’ils ont été assimilés durant l’enfance. Il se rapproche de la fonction du moi qui consiste à tester la réalité : c’est que les idéaux sont soumis au changement »[5].


[1] Deux mécanismes de défense sont spécifiques à la phase schizo-paranoïde : le clivage et l’identification projective.
L’identification projective est un terme introduit par M. Klein pour désigner un mécanisme qui se traduit par des fantasmes, où le sujet introduit sa propre personne en totalité ou en partie à l’intérieur de l’objet pour lui nuire, le posséder ou le contrôler. = prototype d’une relation d’objet agressive. Ce fantasme est la source d’angoisses comme celle d’être emprisonné et persécuté à l’intérieur du corps de la mère ; ou encore l’identification projective peut, en retour avoir la conséquence que l’introjection soit ressentie “...comme une entrée en force de l’extérieur dans l’intérieur en châtiment d’une projection violente”. Un autre danger est que le moi se trouve affaibli et appauvri dans la mesure où il risque de perdre, dans l’identification projective, de “bonnes” parties de lui-même. L’identification projective apparaît comme une modalité de la projection. M. Klein parle d’identification en tant que c’est la personne propre qui est projetée.
[2] GREEN, A., (1990), La folie privée, Paris, Gallimard, Coll. Connaissance de l’inconscient, 1994.
[3] WINNICOTT, D.-W., (1948), La réparation en fonction de la défense maternelle organisée contre la dépression in De la pédiatrie à la psychanalyse, Paris, Petite Bibliothèque Payot, 1983, p. 59-65.
[4] WINNICOTT, D.-W., (1965), Processus de maturation chez l’enfant, Payot, 1989, p. 123.
[5] ERIKSON, E. H., (1968), p. 212.

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