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Isabelle LEVERT

Psychologue clinicienne

Psychothérapeute

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Le traumatisme complexe

un concept qui appelle une approche intégrative

Dans cet article, je présente le concept de traumatisme complexe, je montre son intérêt dans l'abord du traitement psychothérapique des problématiques de violence tant du côté des auteurs que des victimes. Je souligne également la nécessité d'une approche intégrant les dimensions synchroniques et diachroniques afin que cesse la répétition d'un même scénario de vie et la transmission de la malédiction d'une génération à l'autre.

Le traumatisme complexe est un concept qui a commencé à apparaître dans les années 1990. Il est parfois aussi appelé Developmental trauma disorder ou trouble traumatique du développement*, ce qui accentue l'impact d'une répétition des événements ou des situations traumatiques sur la construction de la personnalité de l'individu. On parle d'état de stress post-traumatique (ESPT) quand les atteintes sont dues à un événement unique (incontrôlable, extrêmement négatif, imprévisible, soudain). L'abord thérapeutique est fort différent dans les deux cas de figure.

Diverses maltraitances au cours de l'enfance sont de nature à générer un traumatisme complexe  :

En effet, ces situations confrontent l'enfant à des affects extrêmement intenses qui le submergent  : rage, terreur, honte... Ces sortes d'agressions sont en général récurrentes et surviennent sur un laps de temps prolongé. L'enfant est pris au piège de son impuissance pour échapper à ces conditions de vie, de sa loyauté, de ses sentiments de culpabilité, de sa peur de faire éclater la famille s'il se confie à des tiers... Ses capacités de contenance sont débordées et il ne trouve pas non plus de ressources à l'extérieur, ce qui invalide la mise en place d'une suffisante sécurité intérieure, indispensable aux processus de maturation psycho-affective.

Les conséquences sont multiples et subsistent à l'âge adulte  :

En effet, toute situation présentant quelques similitudes avec ce passé – et cela se passe au niveau inconscient – est susceptible de réactiver les émotions enkystées dans le psychisme mais scindées des représentations qui permettraient de différencier l'actuel des mauvais souvenirs. La personne, elle-même, n'explique pas l'intensité de sa réaction, qui après coup lui paraît disproportionnée. A l'opposé, chez certains, on constate un émoussement des affects, comme si plus rien ne les touchait. D'autres, pour tenir les émotions pénibles à distance, recourent à des stratégies anti-pensées comme la boulimie, les scarifications, la prise de toxiques... Il arrive aussi qu'à force d'avoir été si longtemps sur le qui-vive, dans l'attente inquiète d'une nouvelle agression, l'état de stress soit devenu permanent.

Le clivage de soi et des autres est un mécanisme de défense qui prédomine à un stade précoce du développement psychoaffectif mais qui subsiste lorsque l'environnement de l'enfant n'est pas en adéquation avec ses besoins. Il en résulte une partition du monde en bon et mauvais et une image de soi en tout ou rien. C'est blanc ou noir, sans nuance, sans tolérance pour l'imperfection, l'incomplétude...

Les enfants arrivent dans la vie sans mode d'emploi. L'imitation est la façon la plus primaire d'apprendre. Ils se calquent sur leurs parents. Le modèle privilégié par une fille est en général sa mère et par un garçon son père. Mais l'enfant n'encode pas que les comportements parentaux à son égard, il encode également la façon dont ses parents forment un couple, dont ils se comportent l'un envers l'autre. Ainsi, si les modes d'être en relation des adultes en charge de l'enfant sont malsains, les repères de l'enfant sont faussés et le futur adulte est en risque de reproduire le traumatisme. Les situations de violences commises (identification à l'agresseur) et donc de violences subies (inhibition massive de l'agressivité, pourtant aussi au service de la défense de soi), ainsi que celles où tant la relation que la séparation sont inassumables et où les individus sont ligaturés dans un lien paradoxal sont quasiment toujours le résultat de cette reproduction transgénérationnelle d'un traumatisme complexe, non traité.

De ce vécu infantile, l'adulte qui ne s'est pas penché sur ses failles (pour en découvrir aussi la richesse) garde une blessure non cicatrisée, qui suinte en permanence ou qui se rouvre à la moindre peccadille. L'enfant interprète le fait de n'avoir pas été aimé ou d'avoir été mal aimé comme la conséquence d'une tare dont il serait porteur et qu'il lui faut cacher pour être aimé. Il affronte l'existence en se trimbalant cette honte de soi. Déniée, elle donne lieu aux surcompensations narcissiques dont les idées grandiloquentes de soi sont une des manifestations les plus caricaturales. Non déniée, elle est particulièrement visible lors des décompensations dépressives et peut conduire jusqu'au suicide. Ce défaut fondamental peut également donner lieu au sentiment d'être quelqu'un de mauvais, dont la recherche de punitions vise à apaiser les sentiments de culpabilité, dont les comportements indésirables sont une tentative désespérée d'être accepté envers et contre tout, réassurance qu'il faut sans cesse retrouver parce qu'elle ne prend jamais valeur de réparation (cf. trouble oppositionnel avec provocation). On perçoit bien la dimension complémentaire des problématiques qui en découlent.

Quand les situations ou les événements traumatiques sont le lot quotidien, les multiples souffrances et angoisses générées sont prises dans les mailles du paysage familier et finissent par se fondre dans la masse et/ou dans le corps. Elles deviennent quasiment invisibles et indicibles. Il n'est pas rare que seulement quelques rares souvenirs ne subsistent à la conscience. Il n'y a plus que quelques faits plus percutants que l'ensemble qui dépassent. Ils ne sont pourtant que la partie émergée d'un iceberg gigantesque. Les maux hurlent alors et trahissent ce que la faillite des mots tait.

Au vu de cet exposé, sommaire ici, on comprend que le diagnostic d'ESPT (Etat de stress post-traumatique) est très insuffisant pour rendre compte du caractère interpersonnel, familial et chronique de la maltraitance. Au vu de son impact qui va bien au-delà des symptômes d'intrusion (cauchemars, flash-back), d'évitement et d'hypervigilance – caractéristique de l'ESPT -, on comprend également qu'un traumatisme complexe puisse aboutir à un trouble de la personnalité avec ses composantes intrapsychiques et interactionnelles, tels que ceux exposés dans mon livre «  Les violences sournoises dans le couple ».

Les perturbations qu'entraîne un traumatisme complexe sont énormes. Elles s'étendent de la scolarité à la vie professionnelle, des relations de voisinage aux relations affectives fortes, de la conjugalité à la parentalité, etc. L'ensemble du chemin de vie est détourné. Non soigné, un traumatisme complexe trace une autoroute à la compulsion de répétition, d'où le sous-titre de mon deuxième livre sur les violences sournoises  : de la transmission d'une malédiction à la réparation de soi.

Le travail en psychothérapie permet de faire le deuil des parents que l'on n'a pas eus pour accepter enfin l'histoire telle qu'elle fut, de démonter l'héritage reçu afin d'effectuer un tri parmi les apports parentaux, de retrouver les aspects de soi qui avaient été oubliés, effacés, occultés, rejetés... de se réparer, de se réconcilier avec soi pour n'être plus en guerre contre les autres, d'être à nouveau capable d'aimer véritablement, d'offrir enfin un attachement sécure à ses enfants.

A l'âge adulte, un traumatisme complexe retentit fréquemment sur le style d'attachement entre le parent et son enfant. A la suite des travaux de Mary Ainsworth, on distingue différents types  : sécure, anxieux-évitant, ambivalent, et désorganisé. L'attachement sécure est le fruit de parents qui sont pour l'enfant une base rassurante à partir de laquelle il ose progressivement explorer le monde. Leurs réponses à ses sollicitations sont assez rapides, chaleureuses, cohérentes et prévisibles. L'accordage des parents à l'état émotionnel de l'enfant est suffisamment juste pour qu'il se sente compris et efficacement contenu. Les dialogues lui permettent de mettre du sens sur ses expériences et petit à petit d'apprendre à gérer ses propres émotions et à tenir compte d'autrui. Un peu brièvement, les attachements de type évitant, ambivalent et désorganisé sont respectivement la conséquence de familles désengagées, enchevêtrées et où, soit les parents ont abdiqué, soit leurs comportements sont effrayants, soit les enfants sont parentifiés.

Les caractéristiques d'un attachement désorganisé sont des difficultés intrapersonnelles et interpersonnelles, se révélant par une perte d'empathie, de la méfiance à l'égard d'autrui, une identification à l'agresseur ou une survictimisation (supra), de l'isolement social, de l'instabilité relationnelle, une fragilité face à la prise de distance d'autrui... La conséquence majeure est une dérégulation des affects, avec une vulnérabilité émotionnelle importante et un mauvais contrôle des émotions qui est ou insuffisant ou excessif.

On notera que dans ce contexte, on ne peut aider un enfant en souffrance sans s'occuper également de ses parents, ou de celui (celle) qui est disposé(e) à s'impliquer, sans tenir compte de la place du symptôme dans la dynamique familiale, des sous-systèmes (le couple, la fratrie, ...), etc. Bien entendu, il y a des contre-indications à une psychothérapie conjugale ou familiale que je n'expliciterai pas dans cet article. La psychothérapie familiale permet, grâce aux récits narratifs en présence de... de transmettre une histoire et non plus un trauma.

Dans mon premier livre Les violences sournoises dans le couple, j'ai largement montré comment les troubles de la personnalité sont la cause de violences entre les partenaires amoureux. Le projecteur est mis sur les interactions au sein des couples dysfonctionnels (dimension synchronique de la violence). Dans mon deuxième livre Les violences sournoises dans la famille, j'ai mis en évidence que les troubles de la personnalité, les destins de bourreau ou de victime sont la conséquence de violences subies pendant l'enfance et qu'ils se transmettent d'une génération à l'autre (dimension diachronique).

Le traitement d'un traumatisme complexe exige donc d'intégrer l'approche synchronique et l'approche diachronique, sans quoi il est incomplet et le risque de rechute est grand.

* ESPT complexe, dont l'inclusion a été envisagée dans la nouvelle version du DSM, le DSM 5

Bibliographie

LEVERT, I., Les violences sournoises dans le couple. Paris, Robert Laffont, coll. Réponses, 2011.

LEVERT, I., Les violences sournoises dans la famille. Paris, Robert Laffont, coll. Réponses, 2016.

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