Psychologie du développement

3. Orientation psychanalytique

 

3.3. Le concept d'attachement

    3.3.3. Les troubles de l'attachement

        L’objet de cette partie est de présenter succinctement le lien entre attachement et psychopathologie. Les auteurs[1] partent de l’hypothèse communément admise que l’attachement insécure, s’il ne représente pas un trouble psychopathologique en soi, peut constituer un facteur de vulnérabilité. En effet, la plupart des troubles psychiatriques ont une origine multifactorielle. Cela veut plutôt dire qu’un trouble de l’attachement est un facteur de risque (ou de résilience) de survenue de troubles psychiatriques et que, réciproquement, la pathologie est une source d’activation et éventuellement de perturbation du comportement d’attachement.

            On peut considérer que la classification des types d’attachement, bien que catégorielle, représente une manière de réfléchir sur l’organisation psychologique en terme de capacités de régulation des affects. Ces capacités de régulation vont jouer un rôle adaptatif majeur et, lorsqu’elles sont débordées, dans la survenue de troubles psychopathologiques. Les stratégies d’attachement varient ainsi selon un continuum qui va de la tentative de minimiser à celle de maximiser l’expression des besoins d’attachement et les émotions qui s’y rapportent.

Catégorie

« Détaché »

« Sécure »

« Préoccupé »

Stratégies

visent à minimiser les besoins. L’attention est détournée des angoisses (stratégie de fuite).

Rôle adaptatif

Hyperactivation des signaux affectifs destinés aux figures d’attachement afin d’obtenir réconfort et réassurance

Expression des affects

Minimale.
Pas de résolution des représentations négatives

Les affects négatifs sont reconnus et traités de façon souple et cohérente

Expression des sentiments et des souvenirs. Débordement par les affects.

Structures de régulation des affects

Rigides et très organisées

Cohérence du discours et souplesse et cohésion des représentations

Faibles ou absentes

Pathologies (prédisposition)

Troubles externalisés :
Personnalités antisociales
Troubles des conduites alimentaires
Abus de substance
Formes hostiles de dépression
Formes externalisées de troubles anxieux (symptômes phobiques)

Troubles névrotiques
Manifestations d’anxiété ou de dépression
Rarement des troubles plus sévères du caractère.

 

Troubles de la personnalité du registre hystérique ou état limite
Certaines formes de pathologies anxio-dépressives.

            Ainsi, la théorie de l’attachement suggère que les relations et leurs difficultés peuvent influencer la survenue de troubles psychopathologiques de trois façons :

1.      Les ruptures ou les pertes peuvent être en elles-mêmes une cause de trouble.

2.      L’internalisation de patterns d’attachement précoces pathologiques peut influencer les relations ultérieures de façon à rendre une personne plus exposée et plus vulnérable au stress.

3.      La perception qu’a une personne de ses relations actuelles et de l’usage qu’elle en fait la rend plus ou moins vulnérable à un effondrement dans les situations d’adversité.

            Ainsi, des relations ont pu être établies entre l’attachement et quelques unes des principales catégories diagnostiques de troubles psychiatriques, comme par exemples la dépression, l’agoraphobie, les conduites suicidaires, etc.

-         Dépression : La perte précoce de la mère, surtout si elle s’accompagne de carences de soins, rend une personne plus vulnérable à la dépression lorsqu’elle est confrontée à des moments difficiles. Harris et Bifulco ont mené une étude auprès de femmes qui avaient perdu leur mère dans l’enfance. Le taux de dépression dans ce groupe était significativement plus élevé que dans le groupe témoin : 30 % au lieu de 10 %. Ils ont tenté d’identifier la part respective des facteurs sociaux et psychologiques dans la survenue de ces dépressions. Sur le plan social, ces femmes avaient eu une carence de soins dans l’enfance ; cela conduisait fréquemment à des grossesses qui survenaient hors mariage et à un choix de partenaire peu étayant, ainsi qu’à des conditions de vie défavorisées. La composante psychologique retrouvait un sentiment de désespoir (hopelessness) important, qui avait débuté dans l’enfance au moment de la perte, associé à un sentiment de manque de maîtrise. Les auteurs ont recherché, en plus de ces difficultés, l’existence de styles d’attachement vulnérables, c’est-à-dire de difficultés dans les relations interpersonnelles. Ils ont trouvé que c’était ce dernier point qui était relié le plus au risque dépressif. La notion d’estime de soi (self-esteem) a été considérée comme une composante psychologique importante dans la genèse de la dépression[2]. L’âge de survenue précoce de la perte a été associé à des dépressions plus sévères. Cependant, la majorité des patients dépressifs n’ont pas subi de telles pertes dans l’enfance. Il est donc important d’explorer aussi l’aspect qualitatif des relations aux parents qui peuvent prédisposer à la dépression. Parker[3] a créé un instrument permettant d’évaluer de façon rétrospective l’atmosphère familiale dans l’enfance. Il s’agit du parental bonding instrument (PBI). Il trouve qu’une combinaison particulière d’éléments carentiels et de surprotection prédisposent à la dépression névrotique.

-         Personnalité borderline : Les études rétrospectives retrouvent dans l’enfance de ces patients une fréquence importante d’événements entraînant une rupture ou une perturbation majeure des relations d’attachement. Il s’agit de négligence affective (cf. le complexe de la mère morte) et de traumatismes subis : abus[4] sexuels précoces, séparations prolongées. Liotti a mis en évidence par ailleurs que, à côté de ces expériences traumatiques précoces, un deuil vécu par la figure d’attachement dans les deux années entourant la naissance d’un individu était également un facteur de risque pour qu’il évolue vers un trouble limite. Gunderson[5] a mis l’accent sur l’importance chez les états limites des thèmes d’intolérance à la solitude et de terreur d’être abandonné. Les études mesurant l’état d’esprit par rapport à l’attachement (à partir de l’AAI) retrouvent plus fréquemment la catégorie préoccupée et, parmi celle-ci, le sous-groupe confus, effrayé est sur-représenté. La théorie de l’attachement a enfin suscité des hypothèses sur le rôle étiopathogénique possible des troubles de l’attachement dans les états limites. Pour certains, les oscillations de l’attachement, caractéristique de ces patients, résulteraient d’une perte de contrôle de la régulation de la distance émotionnelle. L’autre point de vue, plus complexe, est celui proposé par Fonagy[6] qui a parlé d’un déficit de la « fonction réflexive » chez ces patients, c’est-à-dire d’une difficulté à mentaliser les émotions en rapport avec l’attachement, à se représenter l’autre comme un sujet intentionnel et à se représenter soi-même comme un être intentionnel. Ces sujets seraient confrontés au cours de leur enfance à des niveaux élevés d’excitation et de souffrance qui ne peuvent être contenues par les parents, lorsque ce n’est pas eux-mêmes qui les suscitent. Plutôt que de percevoir le parent comme une figure dangereuse et de se représenter les pensées de celui-ci, ce qui serait en soi une autre source de souffrance intolérable, l’enfant aurait tendance à inhiber de manière défensive ses capacités de mentalisation. Certaines caractéristiques du trouble de la personnalité sont liées à cette inhibition. On observe aussi que ces sujets se trouvent dans l’incapacité de décrire la souffrance psychique qui les déborde, ce qui rejoint ces hypothèses de Fonagy.

-         Comportements suicidaires : Une étude canadienne publiée récemment[7] a étudié le lien entre le sentiment de sécurité perçu (attachment-felt security) et l’existence d’antécédents de tentatives de suicide chez 187 adolescents soignés en psychiatrie. Ils se sont appuyés sur l’hypothèse d’Adam[8] pour qui le comportement suicidaire est un comportement extrême d’attachement et l’expression d’une colère et d’une détresse contre une figure d’attachement indisponible. Les tentatives de suicide chez l’adolescent refléteraient un dysfonctionnement de l’attachement et surviendraient en réponse à une incapacité à atteindre un sentiment de sécurité suffisant. Cette étude a trouvé que la non disponibilité perçue et les niveaux élevés de symptomatologie dépressive étaient des prédicteurs de comportements suicidaires.

        Bowlby, en 1977, avait utilisé la métaphore de l’arborisation pour décrire le développement de la psychopathologie : lorsque deux chemins différents sont pris initialement, les expériences ultérieures qui viennent se greffer ont des effets et des conséquences différentes.

        Mais, ne peut-on compter que sur les parents ? Bowlby le pensait et avait émis l’hypothèse de la monotropie : il n’existerait qu’une seule figure d’attachement possible (la mère). De nombreuses études réalisées par la suite ont infirmé cette théorie et ont montré que ce qui comptait avant tout, c’était la qualité respective des différents lieux et personnes que l’enfant rencontre. Le père et la mère, la famille et les professionnels de l’enfance ne sont donc pas exclusifs les uns des autres. Loin d’être un risque, l’existence de plusieurs lieux d’attachement possible constitue un enrichissement et un facteur de résilience pour l’enfant. Qui plus est, un lien sécurisant établi avec une personne pourra compenser la relation anxiogène développée avec une autre.


[1] Cette partie est tirée de l’article de PIONNIE, N., ATGER, F., Attachement et psychopathologie, Perspectives Psy, vol. 42, n°2, avril-juin 2003
[2] Une bonne estime de soi nécessite d’avoir internalisé une relation duelle dans laquelle une partie de soi se sent bien avec l’autre (cf. le bon objet interne), ce qui implique la qualité des interactions précoces.
[3] PARKER, G, TUPLING, H, BROWN, LB. A parental bonding instrument. Br J Med Psychol, 1979 ; 52 : 1-10.
[4] Pour Alexander, l’existence ou la persistance d’abus est souvent symptomatique d’un système familial d’attachement pathologique. Ce système est aussi important que l’abus lui-même quant à l’adaptation future. Les parents évitants (dismissing) minimisent les faits qui peuvent alors se reproduire. Les parents préoccupés sont incapables de prendre une position protectrice. Les parents « non résolus » (4ème catégorie proche du type « préoccupé) qui abusent de leurs enfants agissent des modèles qu’ils ont eux-mêmes vécus et internalisés , alors que leurs partenaires sont trop désorientés pour protéger l’enfant.
[5] GUNDERSON, JG., The borderline patient’s intolerance of aloneness : insecure attachments and therapist availability. Am J Psychiatry, 1996 ; 153 : 752-758.
[6] FONAGY, P, STEELE, H, MORAN, G, et al. The capacity for understanding mental states : the reflective self in parent and child and its significance for security of attachment. Infant Ment Health J 1991 ; 13 : 200-217.
[7] WEST, ML, et al., Relationship between attachment-felt security and history of suicidal behaviours in clinical adolescents. Can J Psychiatry, 1999 ; 44 : 578-582.
[8] ADAM, KS., Suicidal behavior and attachment : a developmental model. In : Sperling MB, Berman WH, eds. Attachment in adult. New York : Guilford Press, 1994 : 275-298.

 

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