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Isabelle LEVERT

Psychologue clinicienne

Psychothérapeute

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Troubles caractériels et alcoolisme

Une alliance redoutable 

Cet article est un prolongement du chapitre consacré au régent caractériel domestique de mon 2ème livre "Les violences sournoises dans la famille. De la transmission d'une malédiction à la réparation de soi", où j'explore la mécanique dans laquelle est enfermée l'individu affecté de troubles caractériels, mais aussi ce qui constitue la faille de son(sa) partenaire et les ravages sur les adultes en devenir que sont les enfants. Troubles caractériels et problème de dépendance à l'alcool sont souvent associés avec pour conséquence de renforcer le déni et de rétrécir la voie du changement. 

Des variétés cliniques

Chez l'enfant, les troubles caractériels, sont réactionnels à une souffrance psychique et les comportements sociaux néfastes ainsi que l'instabilité peuvent, dans le meilleur des scénarios, se résorber avec l'avancée en âge. Sans aide extérieure, la plupart du temps, les troubles s'installent durablement. L'agressivité peut être plus ou moins débridée, selon que le contrôle de soi est plus ou moins efficace. « Le tableau clinique varie en fonction de la blessure narcissique sous-jacente et des aménagements défensifs qui permettent dans une certaine mesure de la compenser » (Levert, 2016).

L'impossible altérité

On dit que l'amour donne des ailes mais quand on aime un(e) caractériel(le) on perd des plumes.

La relation avec une personne caractérielle est usante, faite de hauts et de bas. Les accalmies ne durent jamais. Au début, elle se montre sensible, charitable, attentionnée mais la sensibilité se transforme vite en susceptibilité. De charité et d'attentions, elle n'en a que pour refléter une belle image d'elle ou si cela sert ses intérêts. Les bons côtés, on ne les trouve plus par la suite que sporadiquement quand, après ses frasques, il s'agit pour elle de revenir en bonne grâce. De la même façon, en société, elle cherche à séduire et semble bien élevée, patiente, ouverte d'esprit mais, dans le tête à tête conjugal ou en famille, où elle se moque bien de plaire, ceci s'envole face à la moindre contrariété.

Petit à petit, les échanges s'appauvrissent puisque tout le monde finit par éviter les sujets qui fâchent. Il y en a beaucoup qui sont potentiellement sources d'éclats. Il faut dire aussi que l'individu caractériel en a en réserve. Il est prompt à râler à tout bout de champ. Il aime pester sur les automobilistes qui ne démarrent pas assez vite au vert. Si sa compagne est au volant et qu'elle hésite ou se trompe sur la route à suivre, elle se fait railler. Lui aurait fait mieux. Toutes sortes de catégories de personnes sont évidemment dans le collimateur.

Il se comporte avec l'autre comme un tsar vis-à-vis des manants. Par exemple, il inonde la salle de bain d'eau mais ne passe jamais la serpillère, il verse autant de café dans sa tasse qu'en-dehors mais n'essuie pas alors que l'éponge est à vingt centimètres, il ne ramasse pas ses mouchoirs sales qui jonchent le sol, ne jette pas les emballages vides à la poubelles, ne range jamais ce dont il s'est servi, etc. etc. Par dessus le marché, il s'insurge contre le mécontentement qu'il suscite. Il piétine les plates-bandes mais voudrait qu'on l'approuve inconditionnellement. Il oublie une règle d'or  : Ce n'est pas parce que l'on est prêt à tout vous donner qu'il faut vous croire tout permis !

Cet individu, par ses manières d'être en relation, met sans cesse de l'huile sur le feu et provoque maints conflits mais il ne se remet jamais en question et ne tolère aucune mise en cause. Il a toujours raison et forcément l'autre a toujours tort. En fait, il considère que l'autre, qui refuse de se plier à sa volonté, cherche l'embrouille. Il invalide ainsi toute possibilité de dialogue constructif et génère un malaise indicible au sein de la relation.

Quand l'alcool s'en mêle...

Nombreux sont les partenaires qui mettent les difficultés conjugales avec un(e) caractériel(le) sur le dos de la picole uniquement. Or, la propension de la personnalité caractérielle à ne pas laisser de place à l'autre est enracinée profondément dans sa préhistoire.

Tous les caractériels ne sont pas des buveurs et tous les alcooliques ne sont pas caractériels. Cependant, troubles caractériels et consommation problématique d'alcool sont fortement corrélés, sans que l'on puisse déterminer si l'on ne dispose pas d'une anamnèse poussée, qui de la poule ou de l’œuf est apparu en premier.

D'une part, la consommation d'alcool, puisque c'est un désinhibiteur, modifie indéniablement le comportement et, ce, dès le premier verre. L'impulsivité de la personne qui a bu s'accroît. Elle s'agace plus vite et son énervement peut facilement se transformer en agressivité (verbale ou physique). Elle réfléchit nettement moins avant de réagir et interprète souvent mal des choses anodines. Elle évalue mal les situations sociales. Elle ne se rend plus compte, par exemple, que son bavardage agréable est devenu un radotage interminable qui n'intéresse plus son interlocuteur et n'ajuste pas sa conduite. Elle ne songe pas aux conséquences immédiates ou à long terme de ses actes, ce qui amoindrit encore la retenue. De plus, dans la durée, les dommages causés par l'alcool sur le cerveau altèrent les capacités de maîtrise de soi. Des personnes qui boivent beaucoup et depuis longtemps peuvent développer une jalousie alcoolique qui s'explique par la faiblesse de l'investissement de soi et l'attachement anaclitique à l'autre du fait que l'image de soi est de plus en plus incertaine et négative et la relation de plus en plus instable.

D'autre part, il est probable que nombre de caractériels se tournent vers l'alcool en guise de pis-aller à un mal-être devenu avec le temps diffus, voire innommable, – court-circuit addictif (Descombey, 1992) qui entrave la mentalisation –, et également que leur intolérance à la frustration les rende plus en risque de basculer d'une consommation mondaine occasionnelle dans une véritable addiction, plus ou moins grave. Les indicateurs sont au rouge dès lors que 1) les prises sont quasiment quotidiennes et fréquemment dans des quantités qui dépassent, pour un homme, trois unités de mesure et, pour une femme, deux, 2) l'entourage s'inquiète de ce besoin de s'alcooliser, se plaint des conséquences et/ou suggère de diminuer la consommation, 3) le buveur ne tient pas ses résolutions répétées de boire plus modérément. A cela s'ajoute généralement une tolérance à l'alcool, c'est-à-dire la nécessité de boire plus pour obtenir un effet similaire, pour certains le besoin de boire dès le matin pour atténuer les symptômes du manque, les troubles de la mémoire, la constitution de provision d'alcool et/ou la recherche d'occasions de boire. Les symptômes de sevrage (tremblements, transpiration, anxiété, insomnies, nausées, confusion, hallucinations...) lors de l'abstinence ne sont pas indispensables pour parler d'une consommation d'alcool problématique. Certaines personnes n'en sont pas ou que peu affectées.

Un des symptômes de la consommation problématique d'alcool est le déni. La personne ne reconnaît que très rarement une étiologie alcoolique à ses difficultés de vie si bien que l'entourage est alternativement en état d'irritation, confronté à une sensation d'impuissance et en voie d'abandonner toute tentative d'aide, voire son (sa) conjoint(e) à son triste sort.

L'impasse du déni

Le déni est un mode de défense consistant en un refus de reconnaître une réalité. Cette opération psychique vise à maintenir l'intégrité du moi et à sauvegarder le narcissisme des personnes chez qui ses assises sont précaires. Trop ébranlé, il provoquerait un effondrement du moi (dans l'angoisse ou la dépression majeure). L'alcoolisme -il en est de même pour les troubles caractériels (il est mal vu de perdre son calme) - est souvent vécu comme quelque chose de honteux de sorte que la personne dénie l'existence de ce problème, ce qui a pour résultante qu'elle ne s'en inquiète pas et surtout ne se mobilise pas pour le résoudre.

On distingue différents niveaux de déni

La force du déni de la dépendance à l'alcool est redoutable. Le courroux est immédiat face au proche qui a la malheureuse idée de l'expliciter, même très délicatement. La personne caractérielle ne répond pas sur le fond et laisse penser à l'autre qu'elle préfère la compagnie de la bouteille.

« Je ne suis pas accroc à l'alcool malgré ce que tu penses. Je m'arrête exactement quand je veux. Je n'ai rien d'un ivrogne. Certes, j'ai trop bu l'autre soir mais c'était pas la peine d'en faire tout un plat. Je ne t'ai pas frappée. Il n'était pas nécessaire de m'emmener à l'échafaud. Tes mots : "ta surconsommation d'alcool" ont été une injure. Jamais personne n'a considéré qu'il y avait là un problème, tu es la seule.  Que de temps à autre, je boive un peu plus n'a jamais été un souci pour aucune de mes compagnes. Qu'as-tu donc vécu qui te conduise à déformer ainsi la réalité et à devenir aussi catégorique et brutale ? »

Dans cet extrait, sont visibles différents niveaux de dénis mais aussi la projection de l'agressivité qui est attribuée à l 'autre et sa disqualification par deux procédés distincts. Le premier consiste à comparer sa partenaire à d'autres femmes pour la situer en marge et le second à mettre en doute sa clairvoyance. Ni il lui donne raison, ni il écoute ses raisons. La manipulation est également à l’œuvre au travers des tentatives de déstabilisation et de culpabilisation. Convoquer les représentations de l'ivrogne sert, par contraste, à amoindrir son cas. A la fois cet homme prétend savoir quand il doit s'arrêter et avoue un verre de trop, qui pour quelqu'un qui charge de temps à autre n'était certainement pas le troisième mais le n-ième. De la bafouille de son amie, il ne retient que les seuls termes qui l'ont hérissé  : « ta surconsommation d'alcool » et il l'incrimine pour l'avoir clouer au pilori, ce qui trahit une extraordinaire exagération et laisse perplexe sur le soi-disant sens de la mesure. Quelle que soit la forme de l'expression, il est probable qu'il soit impossible pour lui de débattre sur leur désaccord au sujet de ses consommations d'alcool.

Peut-être la partenaire de l'homme cité ci-dessus a-t-elle commis une erreur d'appréciation mais sans doute n'est-elle pas survenue par hasard. Elle a été induite par le rapport de celui-ci avec l'alcool – rapport ambigu sur lequel règne un silence total qui ne permet pas de dissiper l’ambiguïté ou le malentendu, rapport générateur de souffrance chez l'entourage et d'une dégradation de la santé (prise de sang alarmante, hypertension artérielle, odeur de transpiration âcre, etc.). Sa demande est enterrée sous plusieurs pelletés d'indignation. La personne dépendante à l'alcool est plus attentive à la satisfaction de son désir d'alcool qu'à l'autre et éradique tout ce qui peut la mettre en péril. Ne soyez pas naïf(ve) ! Il (elle) veut pouvoir téter librement au goulot.

Sauve-qui-peut

« Quand tu as dit que tu voulais me parler, je savais de quoi tu allais me parler. Je sentais que cela allait tourner au vinaigre. Notre couple n'était déjà plus très solide. Quand j'ai lu tes mots, tout est parti en morceaux. Tout sombrait. En une fraction de seconde, cela m'a rendu furibond. »

Pour l'autre, c'est prendre soin de la relation que de tenter d'aplanir ce qui peut faire obstacle à son développement, d'en appeler à son conjoint quand quelque chose ne lui va pas et risque d'être nuisible. En lui disant ses contrariétés, l'autre lui fait confiance pour l'entendre et prendre soin du couple ou de la famille mais très souvent, trop souvent, l'individu caractériel se froisse et dénature l'intentionnalité de l'acte de parole. « Quel(le) casse-pied  ! Toujours à chercher la petite bête  ! », pense-t-il (elle), en s'arrêtant net à la tournure parfois malhabile, sans aller au-delà. Son narcissisme meurtri est une plaie à vif de sorte qu'il ressent ses mots comme du vitriol et sa désapprobation comme une condamnation. Dans un premier temps fulgurant, la culpabilité qu'il ressent est massive, il panique et il s'effondre. Dans un deuxième temps, le déni et la projection prennent la relèvent si bien que sa rage explose. Dans un troisième temps, il se retire en s'arrimant à son image assez magnifiée de lui-même comme à une planche de salut. En chargeant la faute sur l'autre, il échappe à la désespérance mais aussi à la sollicitude. Ainsi, il est enchaîné à son malheur et conduit ses relations au naufrage.

Le Titanic a sombré parce que, trop lent à rectifier sa trajectoire, il est allé à toute vitesse s'empaler sur un iceberg. Pourtant, rares sont les caractériels et plus encore les caractériels alcooliques à tirer les leçons de leurs déboires. S'ils exploraient l'épave et regardaient enfin leurs reflets figés dans les glaces, s'ils s'enrichissaient de cette connaissance d'eux-mêmes que l'autre a tenté sans relâche de leur dévoiler, certes, ils devraient faire face au constat qu'ils ont torpillé et coulé leur bateau et sans doute beaucoup d'autres avant lui mais, s'ils renoncent, les prochains iront aussi au fond de l'océan sitôt que l'autre aura abandonné ses illusions.

Devant un individu hermétique à un autre angle de vue que le sien, on ne peut que déplorer, en vain, son impuissance absolue à l'emmener dans un partage des responsabilités plus équitable, ou plutôt plus juste dans le sens de justice et d'exactitude. Les souffrances inutilement infligées ne s'éteignent pas, faute de reconnaissance de sa part (venant de lui et sa part de responsabilité). Si l'on ne peut pas dire à son amoureux(se) le fond de sa pensée, à quoi cela rime-t-il d'être à deux. Entre se perdre ou le (la) perdre, il n'y a qu'une option valable  : choisir d'être authentique. Si on est dans la compromission de soi, la séparation est inéluctable à plus ou moins brève échéance et plus éprouvante que l'on a reculé l'échéance, que l'on s'est sacrifié(e).

On ne peut pas découvrir qui est l'autre sans s'en approcher vraiment. Il y a des espérances qui se fracassent comme Icare dont les ailes ont été brûlées par le soleil. La tristesse s'en va quand on ne s'attarde plus sur ces espérances déçues et que l'on regarde ailleurs tandis que les utopies, comme l'étoile du berge, continuent d'éclairer la route.

Bibliographie

DESCOMBEY, J-P. (1992), Alcoolisme , dépression ou addiction in L’information psychiatrique, n° 4, 1992. Précis d’alcoologie clinique, Paris, Dunod, 1994.

KERNBERG, O., (1975), La personnalité narcissique, Toulouse, Privat, 1988.

LEVERT, I., (2016), Les violences sournoises dans la famille. De la transmission d'une malédiction à la réparation de soi. Paris, Robert Laffont, coll. Réponses, à paraître en mars 2016.

Isabelle LEVERT
Psychologue clinicienne
Psychothérapeute

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