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Isabelle LEVERT

Psychologue clinicienne

Psychothérapeute

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Le complexe de Caliméro

Devenir acteur de sa vie

Cet article a pour objectif d'illustrer comment le sentiment d'injustice face aux épreuves de la vie entrave notre capacité à tirer les leçons de l'expérience et alimente à notre insu la répétition. En effet, tant que les démons de notre enfance ne sont pas affrontés, notre vie est dirigée par nos peurs et sentiments et nous sommes la proie de notre inconscient. Pour devenir libre, il nous faut devenir adulte, ce qui ne va pas toujours de soi.

Vous vous souvenez certainement de ce petit poussin noir qui s’exclame à chaque mésaventure “c’est trop injuste !”. Enfants, nous nous identifions à lui, retrouvant nos attentes et nos déceptions. Adultes, nous reconnaissons en lui l’être blessé, qui se sent au bout du rouleau. Parfois cette constatation, lorsqu’un ingrat passe devant vous alors que vous attendez patiemment votre tour, votre part de bonheur,  a sa juste place. Dire la lassitude, voire la souffrance, a aussi une fonction de décharge, de soulagement et de partage. Le tout est de ne pas s’embourber dans la lamentation sans se bouger.

Depuis cette époque où nous regardions les dessins animés, nous pensons avoir grandi. N’empêche que, quand cette petite phrase ressurgit face aux tuiles qui nous tombent sur la tête, qui ne se dit pas aussi : “c’est toujours aux mêmes que cela arrive !” Cette simple pensée est révélatrice de notre attitude devant les aléas de la vie qui pourtant n’est pas un long fleuve tranquille... Au fur et à mesure de l’accumulation de petites misères quotidiennes, on sature, on s’épuise. La galère suivante est la goutte qui fait déborder le vase. Trop, c’est trop. Le seuil de tolérance est dépassé et nous aussi. Nos forces et notre motivation s’échappent.

“C’est trop injuste !”  Ces mots et le sentiment d’injustice nous placent, insidieusement, dans la peau d’une victime qui ne peut que subir. Et ainsi, on attend silencieusement ou bruyamment, passif(ve), que la roue tourne ou qu’une main nous sorte de l’eau trouble et nous sauve de la noyade. Si cette aide ou, mieux, cette chance-là ne survient pas, nos appels de détresse deviennent plus virulents. “Y a vraiment personne qui m’aime ?!” Nos multiples plaintes verbales ou somatiques servent aussi à camoufler notre colère qui monte, notre agressivité qui ne peut pas se dire. Le malheur paraît plus légitime que la rage devant l’adversité. Et de victime nous voilà devenu(e) bourreau de notre entourage et de nous-même.

Mais qui a dit que cela devait être juste ? Cette croyance que tout travail mérite salaire, que chacun a droit à sa part du gâteau est inscrite dans notre culture. Elle s’ancre pendant notre enfance, aux travers des paroles encourageantes dont nous inondent nos parents qui croient bien faire. “Si tu travailles bien à l’école, tu auras un bon boulot” ou pire (à cause des mots) “Il faut se battre pour y arriver”. Nous trimons avec l’espoir qu’au bout de nos peines et de nos concessions, il y ait un coin de paradis. Dommage, ce n’est pas aussi facile. Un grain de sable suffit à gripper l’engrenage. Quand nos efforts ne sont pas récompensés, nous crions à l’injustice. Nous nous sentons impuissants. “A quoi bon...”. Un aveu d’échec plutôt qu’une véritable question qui peut-être nous aurait permis de toucher l’essentiel, de nous mettre en cause.

La métaphore qu’est l’exemple de Caliméro situe d’emblée la problématique dans les sphères de l’intra-psychique et du relationnel. En effet, quand enfant nous avons eu l’impression d’être incompris(e), adulte nous espérons être enfin compris(e) et même deviné(e) par nos proches. Cette espérance est pourtant vaine car personne ne peut mieux que nous savoir ce qui nous convient, ce que nous voulons. Quand enfant nous avons eu le sentiment de n’être pas aimé(e), nous devenons avides d’amour et manquons souvent de recul. Le danger est alors d’investir trop massivement la première personne un peu attentionnée qui croise notre route. Sans esprit critique, nous ne percevons plus tout ce qui ne nous convient pas dans la relation jusqu’à ce que la souffrance nous force à la prise de conscience et au changement.  Quand enfant l’emprise parentale était excessive, adulte nous oscillons souvent entre le rapprochement et la distanciation, sans vraiment comprendre ce besoin irrépressible de fuir.

Cette autre lecture peut s’appliquer à beaucoup d’événements de notre existence. Le hasard n’en est pas forcément un. En effet, bien souvent, cherchant à surmonter les épreuves non digérées de notre passé, nous répétons, encore et encore, les situations pénibles. Nous modifions seulement le décor de la pièce, jusqu’au jour où cela nous saute aux yeux, où, TILT, nous comprenons que nous pouvons écrire un autre scénario de vie. A ce moment-là, enfin, nous sommes en mesure de reprendre les rennes de notre carrosse, d’aller au bal et de peut-être y rencontrer un prince vraiment charmant ou la femme de notre vie. Évidemment, nous risquons d’y perdre des plumes ou notre chaussure mais qui ne tente rien n’a rien. Vivre c’est risquer. Cendrillon rêvait d’une autre vie et elle a agi dans ce sens.

Comment rompre le circuit infernal qui paralyse nos possibilités d’épanouissement ? Comment ne plus être la proie de notre inconscient, manipulé(e) par lui puisque nos propres peurs et sentiments nous dirigent :

Comment sortir des trois positions parasites de Victime, Sauveur, Bourreau* ? Comment ne plus être prisonnier(e) de ces rôles qui nous sont nuisibles ? Afin de pouvoir abandonner nos habitudes comportementales – vestiges des heurts du passé qui déterminent notre personnalité – néfastes car rigides et aveuglantes, car elles nous empêchent d’appréhender la réalité actuelle, il nous faut devenir adulte. Il nous faut développer notre capacité de prendre soin de nous-même, ne plus attendre que le miracle vienne des autres. Être adulte, c’est également avoir le courage de se mettre en crise, de renoncer à nos réactions-réflexes pour prendre conscience de ce qui nous anime dans nos rapports aux autres et avec nous-mêmes. 

Affronter nos vieux démons est très difficile mais plusieurs convictions permettent d’aller au-delà de soi-même. La première est qu’il n’existe d’autre prison que nous-même ; nos résistances à avancer en sont les barreaux. La deuxième est que plusieurs clés permettent de nous libérer et nous sommes les seul(e)s à les posséder. Une troisième est que rien ne nous oblige à mener ce combat seul(e). Demander l’aide d’un professionnel n’est pas un aveu de faiblesse mais, au contraire, entamer un travail psychologique sur soi-même est toujours une preuve de courage et de force. Alors, si vous en avez assez de tout encaisser sans broncher, débarrassez-vous de cette coquille de peurs qui tombe sur vos yeux et vous empêche de bien voir le monde. Ou, tel ce pauvre petit Caliméro, à chaque épisode et chaque fois que vous trébucherez, vous répéterez : “c’est trop injuste”. Grandir c’est tirer les leçons de l’expérience.

La bonne fée du conte est une image qui figure ce changement fondamental, cet autre état d’esprit. Sa magie réside dans le regard porté aux choses et elle se produit lorsque nous sommes acteurs dans la construction de notre destin, lorsque nous décidons de pousser les portes. Mener à son terme un projet exige de surmonter les obstacles, de vaincre nos terreurs et donc de se surpasser sans cesse. Nous ignorons qui nous sommes vraiment. En allant toujours au bout de nos rêves, nous gagnons de découvrir les potentialités infinies qui dorment en nous. Se réaliser (pour utiliser un terme à la mode), c’est sortir des sentiers battus, de la monotonie et tout inventer pour devenir qui nous décidons d’être. Et ainsi le vilain petit canard, enfermé dans sa carapace, englué dans sa tristesse se révèle à lui-même, libéré et joyeux de vivre.

* Grille d’observation proposée par l’analyse transactionnelle

Isabelle LEVERT
Psychologue clinicienne
Psychothérapeute

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