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Isabelle LEVERT

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Le rôle du complexe d'Oedipe

Fantasme de castration et structuration psychique

Cet article s'appuie sur la théorie freudienne et plus particulièrement sur les concepts de castration, d'identification afin de montrer le rôle crucial du complexe d'Oedipe (terme inspiré de la mythologie grecque) dans la structuration psychique. Même si certaines considérations de Freud sont liées au contexte historique (fin du 19ème et début du 20ème siècle) dans lequel elles ont été élaborées, beaucoup de ses conclusions restent valables comme grille de compréhension du fonctionnement psychologique, à condition de les entendre comme métaphore d'une réalité qui dépasse le sens immédiat du mot.  

Le complexe d’Oedipe joue un rôle fondamental dans la structuration de la personnalité et dans l’orientation du désir humain. Les psychanalystes en font l’axe de référence majeur de la psychopathologie, cherchant pour chaque type pathologique à déterminer les modes de sa position et de sa résolution.

Le complexe d’Oedipe n’est pas réductible à une situation réelle, à l’influence effectivement exercée sur l’enfant par le couple parental. Il tire son efficacité de ce qu’il fait intervenir une instance interdictrice (prohibition de l’inceste) qui barre l’accès à la satisfaction naturellement cherchée et lie inséparablement le désir et la loi.

a) Le mythe de Sophocle : “Oedipe Roi”

Dans la mythologie grecque, Laïos, roi d’Athènes, était allé consulter l’oracle de Delphes car son épouse Jocaste ne parvenait pas à avoir d’enfant. L’oracle lui répondit que tout enfant de Jocaste le tuerait. Quand Jocaste mit au monde un enfant, conçu peu après cette prédiction, Laïos décida de l’abandonner. Mais Oedipe fut sauvé par des bergers et adopté par Polybe, roi de Corinthe, qu’il considéra comme son père. Curieux de ses origines et de son destin, Oedipe alla consulter l’oracle qui lui indiqua qu’il tuerait son père et épouserait sa mère. Quittant alors sa ville, il croisa fortuitement Laïos au carrefour de deux routes. Celui-ci refusa de lui céder le passage et Oedipe le tua. Vainqueur du Sphinx (énigme), qui barrait l’entrée de la ville et la ravageait, il fut proclamé roi de Thèbes et épousa Jocaste, réalisant ainsi la prophétie de l’oracle. Informé, par le devin Tirésias, de l’identité d’Oedipe, Jocaste se pendit et Oedipe se creva les yeux. Œdipe, en grec, signifie les pieds liés.

La référence au mythe affirme l’universalité de l’Oedipe, au-delà de l’histoire et des variations du vécu individuel. Le complexe d’Oedipe connote la situation de l’enfant dans le triangle mère-père-enfant. Il faut signaler que Mélanie Klein fait remonter le complexe d’Oedipe à la position dépressive dès qu’intervient la relation à des personnes totales (avant cela, on parle d'objets partiels parce qu'ils ne sont appréhendés que de façon clivée, c'est-à-dire en maintenant séparés les aspects bons et mauvais). En portant son intérêt sur la relation triangulaire elle-même, on est conduit à faire jouer un rôle essentiel, dans la constitution d’un complexe d’Oedipe donné, non seulement au sujet et à ses pulsions, mais aux autres foyers de la relation (désir inconscient de l’un et l’autre parents, séduction, rapports entre les parents). Ce qui sera intériorisé et survivra dans la structuration de la personnalité, c’est au moins autant que telle ou telle image parentale, les différents types de relations existant entre les différents sommets du triangle.

b) La castration

Pendant longtemps, l’enfant est dépendant d’une même personne – la mère comme premier objet d’amour -, qui lui prodigue des soins, du plaisir. Il lui est très difficile de s’en détacher c’est-à-dire de trouver un peu d’amour pour une autre personne, ce qui n’est possible que par l’introduction d’une séparation. L’amour est total car la dépendance est totale. Dans la mesure où la mère regarde un autre, le père, l’enfant considère son existence. Fille ou garçon, l’enfant est en rivalité avec le père et veut l’évincer du désir maternel.

La castration ne se réduit pas à la crainte d’une mutilation anatomique mais surgit au moment où l’enfant prend conscience qu’il ne suffit pas au désir de sa mère, qu’il y a un ailleurs (cf. nom-du-père) auquel elle s’intéresse. Il imagine qu’il lui manque quelque chose de très important, très puissant, très comblant, le Phallus. Ce signifiant Phallus est le symbole d’un manque. Un sujet se définit sexuellement sur cette constatation d’une castration.

C’est par rapport à ce phallus que l’être humain se détermine en tant qu’homme ou femme. Cette identification sexuée ne se réalisera réellement qu’à la puberté. Les notions de féminité et de masculinité ne prennent consistance qu’au moment des remaniements identificatoires[1] de cette période, c’est-à-dire lors du choix définitif d’objet. C’est à partir du moment où des substituts phalliques se mettent en place par rapport à un manque (la castration) que l’enfant entre dans l’ordre du symbolique. (Chaîne des substituts phalliques au cours de la vie).

La fille et le garçon ne sont pas identiques face au complexe de castration[2]. “Chez le garçon, le complexe d’Oedipe sombre sous le complexe de castration... ce dernier est ce qui rend possible et introduit le complexe d’Oedipe chez la fille.”

c) Le complexe d’Oedipe chez le garçon

Il se décompose en un versant positif, comprenant le désir pour la mère et la rivalité vis-à-vis du père. L’enfant est jaloux de l’attention que le père porte à la mère et vis-versa. Le versant négatif concerne la position féminine adoptée par le garçon à l’égard de son père qu’il aime et dont il reconnaît la puissance. Pour conserver cette relation affectueuse, il reste passif. Cette double polarité renvoie à la bisexualité originaire[3].

Le complexe de castration naît quand l’enfant admet le manque de la réalité et qu’il construit un organe phallique (imaginaire) qui peut être ou ne pas être. Il ne peut alors plus maintenir ni le côté positif de l’Oedipe, car il sait que la position incestueuse n’est pas permise et entraîne une sanction qu’il intuitionne comme la castration (castré de l’amour, de l’intérêt qu’on lui porte), ni le côté négatif car la castration est présente par présupposition.  L'enjeu est d'ôter au garçon tout espoir de prendre un jour possession de la place du père auprès de la mère. Le garçon se soumet à la Loi (interdit de l'inceste et du parricide) et renonce à sa mère. Il tente d'avoir cet attribut phallique à son tour en s’identifiant au père et introjecte son autorité et sa virilité, etc. Cette identification secondaire constitue le noyau du Surmoi. Erigé pendant la phase phallique, le complexe d’Oedipe est détruit grâce à l’angoisse de castration. Ce n’est pas de l’ordre du refoulement mais de la liquidation. Le complexe d’Oedipe est un procès.

La névrose[4] découle de la non suppression du complexe d’Oedipe. Le refoulement permet certaines identifications secondaires mais par le retour du refoulé l’amour primordial pour la mère ressurgit et celle-ci reste la référence. A la puberté, il peut y avoir impossibilité de rejeter les fantasmes incestueux et d’accomplir l’affranchissement de l’autorité parentale.

d) Le complexe d’Oedipe chez la fille

Le problème pour la fille est qu’elle doit changer d’objet d’amour (désirer un homme et non plus la mère). Ce qui est également en jeu c’est le passage d’une libido auto-érotique (masturbatoire) à une libido objectale, c’est-à-dire un investissement libidinal de l’autre.

D’emblée, elle admet la réalité du manque de pénis ce qui suscite une espèce d’inhibition, de sentiment d’infériorité (le mouvement féministe tend à gommer ce point de vue, qui rappelons-le est celui de Freud) qu’elle essaie de compenser dans l’imaginaire. “Elle sait qu’elle ne l’a pas et elle veut l’avoir...”. Freud pose ainsi l’équation symbolique où le désir d’enfant est le substitut phallique. Par ailleurs, elle en veut à sa mère du détour obligé par la quête d’un substitut, le désir d’enfant, car elle la rend responsable du manque qu’elle lui a transmis. Il y a changement d’objet d’amour de la mère vers le père mais surtout transformation, à un stade préœdipien, de l’amour de la fille pour sa mère en haine. Sous l’interdit de l’inceste, la fille doit également renoncer au désir d’avoir un enfant du père. Elle cherche à capter l'admiration du père et à le séduire afin de rendre sa mère jalouse. Et puisque cette dernière est préférée par le père, il faut lui ressembler pour réussir. La fille entre dans l’Oedipe quand il y a attachement au père et en sort lors de l’identification à la mère.

La névrose découle d’un non renoncement au phallus, d'une persistance à désirer ce qui n’a jamais été reçu, ce qui fera dire à Lacan que l’hystérie est la langue fondamentale (le désir naît du manque). C’est une castration imaginaire qui nie la castration symbolique si bien que l’attachement au père reste excessif rendant les investissements extérieurs insuffisants et paralysant les identifications à la mère.

e)   La bi-triangulation

Quand l’enfant est dans l’impossibilité de tolérer l’ambivalence de ses sentiments (amour et haine), à cause de la survivance d’un sentiment de culpabilité primitif, le non dépassement de la phase schizo-paranoïde[5] empêche d’accéder à la position dépressive, à la constitution d’un objet total où les aspects positifs et négatifs des images de soi et de l’objet sont intégrés. Green[6] a conceptualisé cela avec le terme de bi-triangulation où la différence des sexes cache un clivage en tout bon d’un côté et tout mauvais de l’autre.

La relation avec un objet fantasmatiquement idéalisé est inévitablement un jour ou l’autre décevante. Face à cette déconvenue, la dévalorisation de l’objet mène à son désinvestissement. La relation objectale est pathologique. L’intensité pulsionnelle éveillée au contact de l’autre est trop importante pour un moi trop faible dont la faiblesse est due à la non neutralisation des pulsions agressives par les pulsions libidinales. Le moi est débordé et le risque d’effraction du pare-excitation (ce qui prend en charge la pulsion et la contient) conduit à l’évitement de toute situation dangereuse, telle la situation oedipienne. C’est le cas des organisations limites de la personnalité.

f) Le faux-self

“(...) le sentiment de culpabilité dans ses rapports avec les pulsions et les idées d’agressivité et de destruction, et c’est seulement lorsque le malade est capable de comprendre ce sentiment, de le supporter et de l’assumer, qu’on voit apparaître un besoin de réparation (...) dans la pratique clinique cependant, nous avons affaire à une fausse réparation qui n’est pas spécifiquement apparentée à la culpabilité du malade (...) mais la défense organisée de la mère contre sa dépression et sa culpabilité inconscientes à elle.”[7]. Winnicott veut dire par là que l’enfant peut être inclus dans les défenses maternelles contre la dépression, ce qui l’empêche d’atteindre sa propre position dépressive suite à ses fantasmes sadiques et donc la culpabilité (le sentiment d’être responsable de la perte de l’objet) et les possibilités de réparation et de restauration. L’enfant a grandi pour protéger la mère contre sa dépression, dans le but de réparer la mère, de la réanimer et non selon son évolution personnelle. L’enfant est devenu le psychiatre de ses parents (Ferenczi). “(...), c’est le terrorisme de la souffrance. Les enfants sont obligés d’aplanir toutes sortes de conflits familiaux, et portent sur leurs frêles épaules, le fardeau de tous les autres membres de la famille”.

Cette censure par l’enfant de tous les mouvements pulsionnels que la mère ne peut contenir constitue la progression traumatique et débouche sur un fonctionnement en faux-self, une pseudo adaptation à la réalité. “La mère qui n’est pas suffisamment bonne n’est pas capable de rendre effective l’omnipotence du nourrisson et elle ne cesse donc de faire défaut au  nourrisson au lieu de répondre à son geste. A la place, elle y substitue le sien propre, qui n’aura d’autre sens que par la soumission du nourrisson. Cette soumission de sa part est le tout premier stade du faux « self » et elle relève de l’inaptitude de la mère à ressentir les besoins du nourrisson”[8].

g) Fonctions du conflit oedipien

-         L'enfant passe d'une relation d'objet duelle à une relation d'objet triangulaire. Il n'est plus dans la fusion avec l'autre mais il le reconnaît et se reconnaît lui-même comme sujet. C'est ce qui rend possible la relation adulte génitale par excellence.

-         Par l'interdit du parricide et l'interdit de l'inceste, l'enfant passe de la nature à la culture. Il est soumis à la loi commune sociale, loi d'échange et d'interdiction.

-         Il accède à la différence des sexes grâce à l'identification au parent du même sexe que lui. L'identification se fait sur les plans morphologique et psychique. Il reconnaît par la même occasion l'Autre comme différent. 

-         Les interdits et des exigences parentales et sociales assumées sont intériorisées et constituent le Surmoi dans son versant de censeur. Il est l’héritier du complexe d’Oedipe et fait suite à un surmoi archaïque.

-         L’idéal du Moi est l’autre versant du Surmoi. Il est une sorte d’idéal auquel le sujet cherche à se conformer. Insuffisamment constitué, le sujet reste en proie au moi-idéal (toute puissance)[9].

-         L'adversité est remplacée par l'altérité, ce qui signifie l'accès à la reconnaissance d'un mode fonctionnement autre que le sien (les goûts et les couleurs ne se discutent pas).

-     La résolution du complexe d'Oedipe s'accompagne d'une libération d'énergie considérable qui sera généralement investie dans l'acquisition d'un outillage intellectuel.

[1] “Identification : Processus psychologique par lequel un sujet assimile un aspect, une propriété, un attribut de l’autre et se transforme, totalement ou partiellement, sur le modèle de celui-ci. La personnalité se constitue et se différencie par une série d’identifications” (LAPLANCHE, J., & PONTALIS, J.-B.., (1967), Vocabulaire de la psychanalyse, Paris, PUF, 1971.
[2] « Tandis que la lutte pour l’autonomie, à son plus fort, s’était concentrée sur le souci d’écarter les rivaux, ce qui en faisait surtout l’expression d’une fureur jalouse dirigée le plus souvent contre les empiètements des frères et des sœurs plus jeunes, l’initiative comporte une rivalité anticipatrice avec ceux qui étaient les premiers sur place et qui du coup, occupent avec un équipement supérieur, le terrain vers lequel se porte l’initiative de l’individu en question. Jalousie et rivalité, ces tentatives souvent amères et cependant essentiellement puériles pour démarquer une sphère de privilège incontesté, atteignent maintenant au plus haut point de la lutte finale en faveur d’une position préférentielle auprès de l’un des parents : inévitable et nécessaire, l’échec conduit à la culpabilité et à l’angoisse. L’enfant se complaît dans ses fantaisies où il est un géant ou un tigre, mais dans ses rêves il court de terreur pour sauver sa vie. C’est bien alors le stade de la crainte pour la vie et  pour le membre, le stade du complexe de castration – crainte intense de perdre ou, chez la fille, d’avoir déjà perdu l’organe génital mâle en guise de punition pour des fantaisies ou des actes commis en secret. » (ERIKSON, E. H., (1968), p. 115).
[3] FREUD, S., (1923), Le moi et le ça in Essais de psychanalyse, Paris, Petite Bibliothèque Payot, 1968, p. 177-234.
[4] FREUD, S., (1905), Analyse d’une phobie d’un petit garçon de cinq ans : le petit Hans, in Cinq psychanalyses, Paris, PUF, 1995, p. 93-198.
[5] Deux mécanismes de défense sont spécifiques à la phase schizo-paranoïde : le clivage et l’identification projective.
L’identification projective est un terme introduit par M. Klein pour désigner un mécanisme qui se traduit par des fantasmes, où le sujet introduit sa propre personne en totalité ou en partie à l’intérieur de l’objet pour lui nuire, le posséder ou le contrôler. C'est le prototype d’une relation d’objet agressive. Ce fantasme est la source d’angoisses comme celle d’être emprisonné et persécuté à l’intérieur du corps de la mère ; ou encore l’identification projective peut, en retour avoir la conséquence que l’introjection soit ressentie “...comme une entrée en force de l’extérieur dans l’intérieur en châtiment d’une projection violente”. Un autre danger est que le moi se trouve affaibli et appauvri dans la mesure où il risque de perdre, dans l’identification projective, de “bonnes” parties de lui-même. L’identification projective apparaît comme une modalité de la projection. M. Klein parle d’identification en tant que c’est la personne propre qui est projetée.
[6] GREEN, A., (1990), La folie privée, Paris, Gallimard, Coll. Connaissance de l’inconscient, 1994.
[7] WINNICOTT, D.-W., (1948), La réparation en fonction de la défense maternelle organisée contre la dépression in De la pédiatrie à la psychanalyse, Paris, Petite Bibliothèque Payot, 1983, p. 59-65.
[8] WINNICOTT, D.-W., (1965), Processus de maturation chez l’enfant, Payot, 1989, p. 123.
[9] « Le surmoi est ici conçu comme un représentant plus archaïque, plus profondément intériorisé et plus inconscient du penchant inné de l’homme à développer une conscience primitive et catégorique. Ayant partie liée avec des introjections précoces, le surmoi demeure ainsi une instance rigidement vindicative et punitive d’une moralité « aveugle ». L’idéal du moi, en échange, semble d’une façon plus souple et plus consciente se rattacher aux idéaux d’une époque historique particulière, en tant qu’ils ont été assimilés durant l’enfance. Il se rapproche de la fonction du moi qui consiste à tester la réalité : c’est que les idéaux sont soumis au changement ». ERIKSON, E. H., (1968), p. 212.

Isabelle LEVERT
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