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Isabelle LEVERT

Psychologue clinicienne

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Des disputes récidivantes

Démontage de la mécanique du psychodrame conjugal

A partir d'un exemple, illustré par un schéma, cet article permet de comprendre comment certaines disputes virent au psychodrame, comment le scénario qui se répète quasiment identique d'une fois à l'autre est toujours écrit à deux, ce qui fait défaut à l'un et l'autre des partenaires pour apaiser la situation au lieu de la voir s'aggraver.

Démontage de la mécanique dans laquelle la dispute s'emballe jusqu'au psychodrameNB : Les numéros entre parenthèses signalent les points plus amplement développés dans les ouvrages de la bibliographie (en bas de page) auxquels le lecteur intéressé d'en découvrir plus peut se référer.

Dans un couple, les disputes récidivantes sont souvent le résultat et la manifestation d'un processus qui se déroule à l'identique et qui ne peut aller qu'en s'aggravant jusqu'au drame lorsque les blessures du passé ne sont pas cicatrisées suffisamment pour ne pas laisser surgir les fantômes (2) sur le devant de la scène.

Un exemple

A et B se sont retrouvés après que B ait fait du VTT une bonne partie de la journée mais, ce soir là, ils n'ont pas dîné ensemble. A, frileux(se), a préféré manger dans la maison et B a décidé de rester sur la terrasse. A a bouquiné dans la chambre et a éteint la lumière de bonne heure. B a passé toute la soirée dehors et ne s'est couché(e) que très tard, faisant du bruit ce qui a réveillé A qui, ensuite, a remué cherchant le sommeil. Rapidement, B a préféré dormir dans un autre lit. Au réveil, A a trouvé un petit mot, gentiment rédigé se terminant par « on s'appelle demain matin ». Dans la nuit, B était reparti(e) à sa maison. A, de crainte de réveiller B, a attendu son coup de téléphone jusqu'en début d'après-midi. A a alors envoyé un message listant différentes hypothèses pour expliquer ce silence. Le message était rédigé dans un style qui se voulait léger, un peu humoristique. B répondit qu'il/elle n'avait pas eu d'accident, qu'il/elle était réveillée depuis longtemps et qu'il/elle était avec des copains.

Il faut savoir que l'avant-veille, A lui avait envoyé un message :  « Après le VTT, je voudrais bien passer le week-end avec toi. Tu me manques. Bisous ».

D'amertume, A fit deux réponses à quelques minutes d'intervalle :
    - Ok, je prends bonne note.
    - C'est gentil de me tenir au courant !

Une grosse heure plus tard, B s'enquit seulement de savoir si A venait à la soirée chez d'autres amis, participation que A avait déjà confirmée. Perplexe, A laissa aussi passer du temps avant de répondre :
    - A quel jeu joues-tu  ?

Lors des différends antérieurs, B a ou explosé de fureur, ou s'est retiré(e) chez lui/elle, et n'a que très rarement répondu sur le fond aux mises en cause de A, accusé(e) dès la première fois de jouer quelque chose de malsain, et affirmant n'être plus disposé(e) à participer à ça.

- Je joue à aucun jeu. Et toi ? Répondit B, cette fois, dans la foulée.
- Aucun.
- Je t'avais dit le manque de toi, j'ai décliné ce matin une invitation pensant que nous passerions la journée ensemble... Je n'ai pu que constater que je n'ai pas fait partie de tes projets. Tristesse.
- Rebelote ?
Rétorque B immédiatement.
- Rien à répondre à cette remarque rabaissante ! Finit par dire A.

Puis, plus tard, à l'heure de la soirée et face au silence de B :
- Tu peux m'expliquer ?
- C'est à penser que tu cherches les... je comprends plus rien.
- Ou je percute trop bien ! En somme, je t'ai manifesté mon envie d'être avec toi et qu'en as-tu fait ? Aujourd'hui, ce fut le bouquet et j'aurais dû faire comme si je n'avais pas été meurtri(e) par ton ignorance. Et, en plus, tu m'envoies dans les orties. Reste donc convaincu(e) de ta belle innocence... Oh, je sais, tu vas couper le portable. Je m'en moque. Je suis trop triste.

Le lendemain matin, A se rend chez B pour récupérer ses affaires. Personne n'ouvre. Nouvel envoi de messages de la part de A :
- Bonjour, je suis là pour prendre mes affaires. Peux-tu ouvrir ?
- Visiblement, tu as passé la nuit ailleurs. Voilà qui rend compréhensible bien des attitudes.
- Il faudrait se parler. Je te le redis, ton attitude me fait mal. Est-ce ce que tu veux ???
- Tu tires donc de la satisfaction à ne pas me répondre et à me malmener ainsi  ?

B finit par répondre un seul message et puis garda le silence :
- Si tu arrêtais de te créer des psychodrames, tu te faciliterais la vie et aussi la mienne. Je ne jouis pas de ces situations usantes.

Ensuite, A tenta de le/la contacter par téléphone à maintes reprises et envoya de nombreux messages, au cours desquels passant par différents états émotionnels, il/elle questionna, dénonça, s'insurgea, provoqua et piqua pour le/la faire réagir, et étala également ses états d'âme. Ils restèrent tous sans réponse. Deux jours plus tard, A reçut un email, lui signifiant que tous les torts lui revenaient et que tous les canaux de communication étaient rompus.

Les réalités subjectives de chacun

Peu importe qui a commencé, qui a contrarié l'autre le premier. En effet, ponctuer les interactions ainsi dans une relation longue n'a pas de sens car on peut toujours remonter plus loin dans l'historique et montrer que telle réaction est la résultante de telle action et ainsi de suite. A ce stade, cela risque d'être sans fin et n'a pas d'intérêt. Il est préférable d'observer les modalités relationnelles respectives dans la mesure où elles induisent chez l'autre telle ou telle réaction et vice versa. Le point de départ de l'épisode relaté ci-dessous est donc arbitraire. Il s'agissait de rassembler les éléments les plus signifiants pour la séquence retranscrite.

Un des comportements de B faisait souci à A (ce comportement de B répondait peut-être à un comportement de A qui lui faisait souci, etc.). A le dénonçait et signalait la tristesse et/ou le mécontentement que cela provoquait. Instantanément, les peurs de B donnaient à la plainte de A une dimension accrue et une teinte exagérément négative. En quelque sorte, B considérait par avance illégitime l'insatisfaction de A et ne lui apportait aucunement ce dont il/elle avait besoin pour s'apaiser, que du contraire. B l'accusait de semer la discorde et, insensible à sa souffrance, lui rejetait à la figure son mal-être. Cette indifférence était comme un tisonnier incandescent dans la plaie de A qui s'infectait de plus en plus alors qu'au départ l'anicroche était anodine...

Dans le contexte, A, sans attendre l'explication de B, a donné au comportement souci une signification de non considération, a estimé sa contrariété fondée et ne s'est pas abstenu(e) de manifester sa désapprobation. Or, les émotions négatives et les critiques de A ont incité B à rester en retrait, ce qui a induit chez A une montée en puissance, qui a induit chez B un éloignement de plus en plus grand, etc.

La spirale dramatique

Le schéma ci-dessous met en lumière l'escalade symétrique dans laquelle le couple se perd.

Les réactions émotionnelles de A explosent face à B qui les condamne et réprime les siennes. Pour arrêter le phénomène d'amplification, B devrait répondre à la demande de considération de A et A ne devrait plus exercer de pression pour l'obtenir. Mais chacun touche là, par son propre mode d'être lorsque l'harmonie est rompue, l'insupportable de l'autre du fait des traces des traumas anciens, réactivées (2). Les problématiques entrent en résonance jusqu'à former un cyclone et atteindre un seuil critique.

En marge du schéma, figurent à gauche et à droite les réponses respectivement de A et de B qui auraient eu pour effet un retour à l'équilibre et à la paix du ménage. Malheureusement, ni l'un ni l'autre ne s'est comporté d'une manière qui sécurise l'autre. Chacun est resté obnubilé par ce qui lui pose problème et aucun des deux n'a été réceptif aux besoins de l'autre. La situation s'est poursuivie de mal en pis.

Schéma d'une dispute conjugale en spirale

L'examen du processus

A et B sont pris dans un mouvement en spirale au travers duquel une friction conjugale banale et mineure, qui aurait pu se résoudre rapidement, se transforme immanquablement en un problème majeur, un hiatus tel qu'il conduit très souvent le couple à la rupture.

Selon leur programme officiel (1), B voulait s'investir auprès de A et réciproquement mais leurs cartes du monde étaient telles que chaque heurt entre eux dégénérait en crise.

Pour B, s'imposait la certitude que la relation était vouée à l'échec parce que l'autre ne pouvait s'empêcher de créer des problèmes inutiles de sorte que B reculait et devenait imperméable à A. En outre, l'évolution de la situation semblait donner raison à B, qui n'y voyait qu'une confirmation de sa prédiction.

A aspirait à construire une relation de qualité avec B mais, à chaque difficulté de communication, doutait que B soit à la hauteur tout en s'acharnant à obtenir une compréhension mutuelle. A déployait une forte dépense énergétique pour que B se rapproche mais ses arguments et ses émotions avaient peu d'effets si bien que ses craintes semblaient fondées.

Tous les deux avaient le sentiment que l'autre était l'artisan d'une prophétie auto-accomplissante, auteur de la catastrophe. Tous les deux étaient conscients du décalage chez l'autre entre la carte et le territoire, entre son désir d'une conjugalité épanouissante et sa croyance fébrile en son possible mais ils demeuraient inconscients de leurs propres paradoxes et ne trouvaient pas le ressort pour sortir de ces ravins sinistres. Ils attendaient le changement chez l'autre sans se rendre compte qu'ils participaient à l'empêcher ou à le rendre caduque et qu'ils ne pouvaient l'opérer qu'en eux-mêmes. Ainsi, ni l'un ni l'autre ne trouvaient les forces qui auraient compensé les fragilités de l'autre. A ne rassurait pas B quant au fait que la moindre de ses erreurs pouvait ne pas se terminer en mélodrame et B ne rassurait pas A quant au fait qu'il ne se moquait pas d'elle, de ses demandes ou de ses sentiments.

Quand la solution devient le problème

Dans ces cristallisations du conflit conjugal, il est toujours question de confiance ou de méfiance (1)(2). En effet, la relation bascule dans la dispute dès lors que la confiance est brutalement retirée, que l'on ne croit pas ce que l'autre dit de lui/elle-même, que l'on ne l'écoute plus parce que l'on est convaincu de détenir la vérité à son sujet. Quand on lui prête une volonté mauvaise ou maligne, à la place de se préoccuper de son bien-être, on pervertit sa parole et on abîme le lien.

Une relation heureuse se construit à deux, jamais en imposant sa lecture de la discorde ou sa loi. Or, dès que A manifeste son mécontentement, B la revêt du costume de ses fantômes et A lutte contre l'exhumation des siens que l'incapacité de B à reconnaître qu'il/elle a pu le/la blesser pourrait provoquer. B qui, croyant se prémunir, rompt tous les canaux de communication enferme A dans ses préjugés et A tente de se dégager et de forcer B à le/la considérer.

Chacun répète encore et encore les mêmes tentatives de solution qui pourtant s'avèrent infructueuses et, en pensant bien faire, accroît ainsi les hantises de l'autre. Au vu des faits assez futiles, la disproportion que prend la discorde trahit leur surgissement hors du passé. Ces hantises surchargent dramatiquement la situation actuelle d'affects négatifs (2) de sorte que la raison se trouve parasitée et paralysée pour que l'un et l'autre puissent recourir aux réponses adaptées et constructives.

Passer d'un raisonnement où la causalité est linéaire à une logique circulaire

Lors d'une dispute, il est possible de ne pas compliquer et envenimer la situation en ne la considérant pas d'emblée de façon simpliste. En effet, une lecture linéaire des difficultés les rend insolubles et piège presque systématiquement le partenaire amoureux dans un cercle vicieux dont les deux conjoints font, au final, les frais. C'est plus complexe que cela. Complexe ne veut pas dire compliqué.

Sitôt qu'on se décentre de soi pour enrichir le raisonnement de la réalité de l'autre, on augmente le niveau de complexité pris en compte, on se dirige automatiquement vers une issue favorable et on se facilite la vie. La dynamique peut redevenir vertueuse.

Cela suppose évidemment d'écouter le point de vue de l'autre, de ne pas le reléguer au second plan ou de ne pas le dénaturer. Quand l'altérité est irrecevable (1)(2) et que l'autre se trouve nié, il ne peut qu'en être affecté, suffoquer dans les larmes, s'enflammer de colère pour se détacher et se détourner d'un tel conjoint. Le bonheur est ailleurs.

Emboîtement des narcissismes défaillants

- Et si j'entendais les raisons de l'autre (encore faut-il qu'il/elle les verbalise) ? Et si cela aboutissait à ce que j'ai tort  ? Serais-je pour autant une personne mauvaise  ?

Évidemment, la réponse est non mais l'individu dont le narcissisme est abîmé, soit est incapable de se percevoir comme ayant des qualités et des défauts et se défend massivement contre ce qui met son image de soi en péril au moyen d'une inflation narcissique, soit est tout autant incapable de nuances et prend le blâme entièrement sur lui ce qui trahit la déflation narcissique (2).

Le premier fait violence à autrui en prétendant et en étant parfois convaincu qu'il en est la victime. Le second trace son destin de victime parce que son estime de soi est trop faible pour qu'il n'accrédite pas la thèse de ceux qui l'accusent d'être leur bourreau et ainsi abusent de lui.

B se situe plutôt sur le premier versant tandis que A tend vers le second, basculant transitoirement dans un effondrement du Soi. Chez tous deux, le narcissisme est précaire mais, cependant, moins malade chez l'un que chez l'autre et pas chez celui qui le laisserait penser à première vue. De fait, B n'est pas fort(e) mais cramponné(e) à ses fausses croyances et rigidifié(e). Le vacillement narcissique lui paraît trop dangereux pour l'oser et même pour qu'il ne soit pas impensable. C'est pourquoi les torts sont massivement projetés sur autrui (1). Quant à A, il/elle trouve la témérité de s'avouer reprochable dans l'espoir qu'on lui pardonnera ses imperfections et ses égarements, qu'on ne creusera pas ses failles. Ce n'est pas une faiblesse que de montrer sa vulnérabilité mais le témoin qu'une réconciliation de soi (2) suffisante pour supporter de n'être pas parfait(e).

En consultation, il est fréquent que la victime véritable de violences psychologiques sournoises demande de l'aide pour s'améliorer et ne plus jeter de l'huile sur le feu alors que celui qui la malmène et détériore la relation ne se remet jamais en cause, du fait de cet ego hypertrophié (1)(2).

Il y a des surcompensations narcissiques qui sont comme des maladies auto-immunes et qui dévastent la conjugalité.

Les faits récurrents qui jalonnent l'histoire du couple de A et B ont révélé chez B une intolérance à la différence de l'autre, voire un déni radical de l'altérité.

Que ce déni de l'autre soit structurel (héritage de l'enfance) ou que cette intolérance ait été acquise à la suite d'expériences amoureuses douloureuses est une distinction inutile pour A, voire encombrante. Peu importe que B ait conscience ou non de l'intentionnalité sous-jacente à ses comportements et qui vise à soumettre l'autre en le muselant ou en matant la rébellion que ce mode d'être en relation suscite, le résultat est d'astreindre l'autre à son seul désir, à moins de tomber sur un os, c'est-à-dire une capacité de résistance obtenue grâce à des repères bien ancrés permettant de rejeter l'inacceptable (2). Les forces de caractère entrent alors en opposition. Les titans s'entrechoquent jusqu'à ce que l'un prenne la fuite plutôt que de déclarer forfait ou que l'autre soit lassé de se cogner la tête contre les murs.

Bien souvent, ce n'est que la rupture qui peut quelquefois amener le partenaire au narcissisme grandiloquent à la prise de conscience de sa destructivité et le décider à entamer un travail sur soi. Ce n'est pas une décision facile puisqu'elle implique de faire le deuil de ce qui était agréable dans la relation mais il est vain de tergiverser quand on s'y éteint.

Par contre, la distinction entre perversité de structure (1) et trouble de la personnalité avec conséquences perverses (il en existe différentes sortes) (1)(2) est une donnée à prendre en compte pour le pronostic. En effet, dans le premier cas, il est extrêmement mauvais et toute psychothérapie n'y changerait rien, si ce n'est de permettre à l'individu de gommer les traits saillants qui le signalent, d'affûter ses armes et ainsi d'atteindre un plus haut niveau de perversité. Dans le second cas, le diagnostic autorise à quelques espoirs pour peu qu'une psychothérapie soit menée jusqu'au bout.

Epilogue

B a fermé la porte à toute tentative de dialogue de A pour une période indéfinie, montrant par là qu'il/elle ne remettait pas en question sa vision des choses, encore moins ses illusions sur lui/elle-même, et dans des termes qui trahissent le dénigrement, la disqualification, le mépris... bref l'attaque gratuite de l'image de soi de l'autre.

A, malgré la sensation de gâchis, déterminé(e) à ne pas s'enfoncer plus dans le malheur et à ne plus participer à un système pervers dans la mesure où il/elle n'y avait droit de cité qu'à condition de se taire, a admis son impuissance devant les convictions immuables de B et a cessé de marteler contre la porte close. De réaliser qu'une relation dans ces conditions ne pouvait se poursuivre que sur un mode dominant-dominé, refusé, B peut bien penser ce qu'il/elle pense de A, cela n'a plus aucun impact, plus aucune importance. Conscient(e) de ses failles, A met en place de nouvelles stratégies pour y pallier et aller définitivement de l'avant.

Bibliographie

(1) LEVERT, I., Les violences sournoises dans le couple. Paris, Robert Laffont, coll. Réponses, 2011.

(2) LEVERT, I, Les violences sournoises dans la famille. Paris, Robert Laffont, coll. Réponses, 2016.

Isabelle LEVERT
Psychologue clinicienne
Psychothérapeute

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