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Isabelle LEVERT

Psychologue clinicienne

Psychothérapeute

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Recherche-action : projets didactiques dans le domaine de l'insertion sociale

Réflexions sur les aspects psychosociaux du métier 

Le contexte législatif

L’action d’insertion sociale est un concept relativement récent. Parallèlement, aux développements des nouvelles technologies, le fossé entre les nantis et les plus démunis s’est creusé. Le nombre de personnes pauvres ou en situation précaire a atteint des proportions inquiétantes. En contraste des progrès du monde moderne, la misère de certains est apparue criante et surtout injuste. La société a pris conscience que si elle n’agissait pas, elle perdrait son humanité. Remédier à l’inégalité est devenu une priorité des politiques au point que le rôle même de l’Etat évolue jusqu’à être désormais un « Etat social actif ».

« La cohésion sociale ne vise pas tant à mettre en œuvre un minimum de droits pour les exclus qu’à permettre à tous l’accession aux mêmes droits »[1]. Ces droits fondamentaux que sont aussi les droits économiques, sociaux et culturels sont garantis désormais par la Constitution. Il faut noter que la Déclaration des Droits de l’Homme consacre expressément le droit au développement lequel englobe tous les autres.

La recommandation n° 1355 de 1998 du Conseil de l’Europe relative à la lutte contre l’exclusion sociale et pour le renforcement de la cohésion sociale en Europe pose les prémisses des politiques à discrimination positive, en invitant les gouvernements

Par la suite, la Conférence de Dublin du 17 et 18 janvier 2000 sur le développement social a mis l’accent sur la nécessité d’investir dans l’éducation et la formation dans la lutte contre la pauvreté que ce soit à l’échelle nationale ou internationale. Le Fonds social européen soutient ces actions et encourage les mesures en vue du développement des compétences et de la réinsertion socioprofessionnelle. L’exclusion sociale étant multidimensionnelle, les programmes d'insertion doivent intégrer les aspects sociaux psychologiques et culturels et tenir compte des besoins particuliers des populations- cibles afin de les mobiliser, de les mettre en projet mais également de valoriser leurs compétences et leurs ressources individuelles. Ainsi, un parcours individualisé doit permettre à chacun de s’insérer activement dans la société. L’action d’insertion sociale, spécifique et distinguée des projets d’insertion socioprofessionnelle, est donc depuis peu institutionnalisée. L’esprit de la loi est, semble-t-il, d’aborder les questions de manière globale.

Le droit à l'éducation

Face aux enjeux d’inclusion sociale, la formation des adultes qui contribue à atteindre une plus grande justice sociale, doit devenir un droit effectif. Pour ce faire les outils doivent être adaptés au public afin de permettre à chacune et chacun de valoriser ses savoir-faire, savoir-être et faire-savoir, d’acquérir de nouvelles compétences et, ce, sans focaliser uniquement sur le but d’une mise à l’emploi, et de susciter l’expression de la demande de formation, voire d’éveiller cette demande, en plus de fournir une réponse à la demande « explicite ».

La déclaration de Hambourg adoptée lors de la cinquième Conférence Internationale sur l’Education des Adultes tenue en 1997 sous l’égide de l’Unesco définit l’apprentissage tout au long de la vie de la manière suivante : « La formation considérée comme un processus qui dure tout au long de la vie a pour objectifs de développer l’autonomie et le sens des responsabilités des individus et des communautés, de les habiliter à faire face aux transformations qui affectent l’économie, la culture et la société dans son ensemble, et de promouvoir la coexistence, la tolérance ainsi qu’une participation éclairée et créative des citoyennes et des citoyens à la vie de la collectivité, bref, de permettre aux individus et aux communautés de prendre leur sort et celui de la société en main pour pouvoir relever les défis de l’avenir ».

De ce texte, il ressort que la formation des adultes ne comprend pas seulement la formation de base et la formation qualifiante. Elle s’étend aux actions favorisant l’épanouissement des personnes dans leur globalité et leur singularité. Elle concerne aussi la possibilité d’exercer pleinement des responsabilités personnelles, familiales, sociales et civiques. La réglementation nationale doit être élargie et modifiée de manière à mieux couvrir les besoins des publics-cibles pour lesquels, parfois, la situation de désaffiliation sévère nécessite d’élargir le champ d’intervention et d’entreprendre une action plus en profondeur et sur le long terme. Il est tout à fait positif de constater l’ouverture des autorités gouvernementales à une vision éducative plus large. Cependant, l’instauration d’une véritable dynamique communautaire, dans le sens d’un travail collectif, d’un partenariat avec les personnes visées, est encore loin d’être effective.

De plus, c’est dans la réalité de vie des personnes que la formation des adultes puise sa spécificité. Il est primordial d’écouter aussi la voix des plus défavorisés pour comprendre et répondre convenablement à leurs difficultés. Les problèmes d’insertion socioprofessionnelle sont pour beaucoup dus à un cercle vicieux où les séquelles des échecs (scolaires et autres), les difficultés quotidiennes face à la misère, le manque d’estime de soi, ainsi que la dégradation de l’état de santé, entravent tout projet et entretiennent le sentiment d’exclusion[2]. Cette spirale ne peut s’inverser que dans une interaction qui porte un autre regard sur le passé. Une relation de dialogue et de valorisation du sujet est fondamentale pour changer les représentations que la personne se fait de son parcours et par là d’elle-même. Lorsque l’estime de soi est médiocre, l’individu ne se croit pas capable ou en droit d’atteindre une situation meilleure alors que pourtant, comme les autres, il aspire à cela. Inconsciemment, il s’autosabote et renonce à ses projets, quelques fois même avant de les avoir commencés. Les processus de désaffiliation sont également une des suites de ce jugement négatif porté sur soi. Des études de motivation ont démontré le lien entre le désir de conserver une image positive de soi et la volonté d’accéder à un statut social élevé.

Dès l’introduction du manuel d’utilisation de l’inventaire d’estime de soi de S. Coopersmith, se trouve justifié notre intérêt pour ce concept. On y lit : « Eprouver des sentiments positifs et valorisants envers soi-même semble être un facteur déterminant de la motivation au travail. Pour mieux comprendre les comportements individuels, il paraît donc important de connaître la perception ou l’opinion qu’un individu a de lui-même. (…) Croire à sa réussite personnelle, se mobiliser en fonction d’un but à atteindre, ressentir plus ou moins profondément un échec, améliorer ses performances en mettant à profit les expériences antérieures sont des attitudes directement liées à l’estime de soi(…) ». Il est pertinent d’évaluer en amont et en aval l’estime de soi couplée à un indice de dépression, obtenu grâce à l’échelle de dépression de Beck, afin d’éviter de tirer une conclusion qui pourrait être trop hâtive dans les cas où la défaillance de l’estime de soi est consécutive aux affects dépressifs dont on sait qu’ils sont fréquents auprès de cette catégorie de la population et qu’ils conduisent très souvent à une dévalorisation de l’image de soi.

La spécificité du public

La compétence "d’exister" se construit dans une association réciproque des acquis de l’expérience et des savoirs plus formalisés. En effet, ces derniers n’ont de valeur que s’ils font sens par rapport aux réalités vécues et, pour que les apports de celles-ci soient reconnus, il faut des concepts, des méthodes, des mots. Ce qui est signifiant alors est ce qui s’articule au projet de vie, et non plus à une norme de réussite sociale axée sur le paraître, si bien que la prise de conscience des manques relance alors le processus de création et la mobilisation des ressources en vue d’un mieux-être. Ces considérations ont l’intérêt de pointer les différentes dimensions à prendre en compte pour concevoir la formation à destination des personnes en décrochage social.

D’or et déjà, on retiendra que les obstacles à l’accession au marché du travail ou à une formation touchent des domaines multiples et parfois très éloignés les uns des autres. On remarquera que le recours systématique à des outils standardisés pour évaluer les compétences psychosociales n’est pas la règle alors que d’un autre côté le parcours individualisé d’insertion sociale cherche à remédier aux points faibles de la personne et à s’appuyer sur ses forces. L’absence de critères objectifs pour établir l'état des lieux des compétences interpèle, d'autant plus qu'il a été observé que l’investissement en formation augmente à la fois lorsque l’environnement économique est perçu comme facilitant et lorsqu’il est perçu comme très difficile. Il faut donc s’interroger sur la politique poursuivie. Est-on dans une démarche globale de compensation et/ou d’exploitation du potentiel d’une région ou menons-nous une véritable stratégie d’insertion sociale ?

Par ailleurs, opérer sans une grille d’évaluation, c’est travailler sans repères que ce soit pour constituer des groupes de (re)socialisation ou pour mesurer les effets d’une participation à de tels groupes. Il s’agit de réfléchir convenablement à ce qu’on fait, pour qui on le fait, comment on le fait et de se doter des moyens nécessaires pour fixer les objectifs spécifiques à atteindre lors de chaque session et pour quantifier les résultats en terme d’insérabilité et de mieux-être et, à partir de là, pour mesurer la pertinence de l’action menée. L’imbrication des problématiques rencontrées obligent à intégrer cette complexité à toutes les étapes de nos interventions, à se questionner sans cesse sur les aspects éthiques et les concepts que recouvrent les modalités de mise en œuvre d'un projet de formation.

En conséquence, nous tenons à souligner qu’élaborer une formation sans connaître à l’avance le type de public à qui elle s’adresse est équivalent à jouer au poker ou à la bataille navale avec le risque de tirer dans le vide. A force de vouloir toucher tout le monde, nous ne toucherons personne. Satisfaire à la fois les adultes et au sein de ceux-ci tenir compte des spécificités de chaque sous-groupe pour ne vexer personne et essayer d’apporter quelque chose à tous, et donc les respecter tous dans leur singularité conduit à multiplier les contraintes si bien que le fond du travail en devient insignifiant et la forme bancale. De plus, l’hétérogénéité inter-groupale avec les tensions et les heurts qu’elle provoque, malgré son message implicite sur l’interculturalité, peut être pour certains plus dommageable que bienfaitrice, notamment sur le plan narcissique.

Une autre condition majeure, dans une perspective de moyen terme ou de long terme, est la continuité des rencontres. Il est patent que les personnes en situation de précarité disent avoir beaucoup d’amis mais, en cas de coup dur, elles n’ont quiconque sur qui compter vraiment. Les relations qui se forment entre les personnes du groupe, en plus d’améliorer la cohésion de celui-ci, remplissent une fonction d’étayage si bien que le groupe constitue un élément de résilience. Cette dimension doit être privilégiée dans la mesure où elle est un des facteurs du changement, de la capacité à rebondir face aux difficultés de la vie.

Le principe du levier

Le défi à relever est double et comporte un paradoxe : - dynamiser des gens en inertie et - éduquer ces mêmes gens au « vivre ». L’enjeu peut se résumer ainsi : comment amener un individu à se servir des outils à sa disposition ? Le cas des grossesses non désirées chez les jeunes filles est exemplaire malgré les nombreuses infrastructures d’aide et une information dispensée largement. Les apports de la psychologie éclairent la question à plusieurs niveaux et permettent de comprendre que le problème est vraiment complexe. D’une part, au niveau individuel, l’histoire de chacun détermine en grande partie le mode d’être au monde actuel et, d’autre part, au niveau sociétal, les interactions interpersonnelles et intersystèmes sont grandement influencées par les représentations collectives. Ne parle-t-on pas d’une population du quart-monde ?!!! Les termes utilisés sont révélateurs de l’image mentale afférente à cette catégorie de la population qui est ainsi maintenue à l’écart. L’insertion sociale commence par le choix des mots et implique obligatoirement un réel désir de changement et d’intégration au sein de la société. Un monde à deux vitesses n’est nullement une fatalité et certains en sont convaincus et luttent au quotidien pour plus d’égalité et plus de justice sociale. Il est juste qu’ils soient reconnus et que leur dévouement soit encore mieux valorisé.

Comment inverser une logique du désespoir, qui mène non pas à penser les difficultés en vue de leur résolution mais à ne plus penser du tout si ce n’est en étant animé(e)(s) de la conviction que tout est possible et en assumant nos responsabilités. Le travail consiste donc à trouver au moins un levier et à l’activer afin d’introduire un changement dans ce système circulaire, pathologique et pathogène, ce qui inéluctablement va entraîner un effet boule de neige et, à sa suite, une modification du fonctionnement dans son ensemble. Concrètement, l’objectif poursuivi est que les personnes sortent de leur train-train mortifère et qu’elles atteignent et maintiennent un état d’équilibre dynamique dont le plaisir est le carburant et le rêve le moteur. Cette hypothèse se fonde sur le fait que le souvenir des expériences positives incite à vouloir les répéter de sorte que la chaîne des désirs successifs est relancée. Ceci peut se décliner de diverses manières. En pratique, le principe est le suivant : dans un premier temps, les personnes sont amenées à vivre des situations simples mais inhabituelles pour elles, qui leur sont agréables, comme par exemple, faire de la poterie, du tissage, un herbier, etc. et au cours desquelles elles quittent leur environnement habituel et se tournent vers l’extérieur de sorte que, dans un deuxième temps, les démarches pour entamer pour réaliser des projets de plus grande envergure, leur apparaissent surmontables.

Cette gageure est bel et bien celle de l’insertion sociale et plus spécifiquement l’apprentissage du « vivre » ensemble. C’est dans ce cadre que des animations à visée plus explicitement éducative se situent. Elles sont conçues pour apporter une réponse aux manques parfois flagrants des notions les plus élémentaires de savoir-vivre, telles que le B.A.-ba pour éviter les intoxications alimentaires, pour nourrir sainement ses enfants, se laver chaque jour, etc. ; en bref, des choses que l’on apprend, en général, auprès de ses parents pendant l’enfance et qui font partie de nos conditionnements. Cette connaissance de base fait défaut chez beaucoup. C’est quasiment un « reparentage » qu’idéalement, il faudrait pouvoir effectuer. Les techniques de groupe sont privilégiées, autour d'axes thématiques essentiels comme la santé physique et mentale, la parentalité et à l’éveil du petit enfant, l’interculturalité.

Les contraintes en terme de pédagogie

Les actions d’éducation préventives dans le domaine de la santé, de l’épanouissement et même de l’interculturalité à destination des populations défavorisées se heurtent à divers obstacles. Un de ceux-ci est la difficulté majeure des personnes à se projeter dans le futur et à imaginer le bénéfice qu’elles pourraient retirer des changements prescrits. Elles adhèrent péniblement à des conseils dont elles ne perçoivent pas l’utilité ici et maintenant. Il est aussi périlleux d’obtenir une modification de comportement quand celui-ci fait partie du sentiment d’appartenance à la culture d’une communauté et est constitutif de son identité.

L’intervention éducative doit pouvoir opérer à plusieurs niveaux et atteindre au fur et à mesure des strates plus intimes du fonctionnement psychique :

Travailler en profondeur nécessite du temps mais aussi de ne pas attaquer de front les mécanismes de défense des personnes, ce qui n’aurait pour résultat que de les renforcer un peu plus. Il faut pouvoir contourner les freins qu’ils soient d’ordre culturel, social ou psychologique. La démarche participative est la seule, d’une part, à garantir l’adéquation des contenus aux besoins et aux motivations, grâce à la flexibilité de l’animateur et que le dispositif rend possible, et, d’autre part, à favoriser l’adhésion à l’information apportée. De plus, ce type de pédagogie utilise des techniques de revalorisation du rôle social qui se situent à l’opposé de la configuration classique maître/élèves qui détermine la nature de la relation. Il s’agit non pas que les personnes ingurgitent un savoir auquel elles sont hermétiques mais bien plutôt de poser le cadre pour qu’un lien de coopération active s’établisse et que les savoirs soient échangés. L’animateur se positionne comme un catalyseur mais aussi en tant que détenant un certain savoir afin que les personnes expriment leurs attentes et les clarifient, qu’elles posent leurs questions et que les réponses arrivent si possible du groupe.

Concrètement, une animation didactique doit présenter de nombreuses caractéristiques et notamment les suivantes :

 Quant aux supports, tels que les documents vidéos, on sera attentif à leur portée et impact sur le public-cible. Il est préférable de les proposer en seconde partie de séance après une sensibilisation au thème. Les documentaires ou reportages trop sérieux ou trop compliqués risquent d’ennuyer et de manquer leur but tandis que certaines thématiques pourraient heurter les sensibilités. Il faut noter que les films humoristiques véhiculent parfois plus efficacement le message. L’humour permet de se distancier d’une situation et aiguise l’esprit critique. De plus, rire permet de se sentir vivant et rire ensemble confère inéluctablement un sentiment d’appartenance groupale. On sera vigilant à la qualité du document et aussi à la bande sonore, qu’on préférera en français. De même, pour les documents écrits, les textes devront être courts et le vocabulaire compris d’un grand nombre.

La méthodologie de l'évaluation

Jusqu’ici, il semble qu' aucune procédure standardisée n'existe pour évaluer les compétences psychosociales des personnes en situations de précarité sociale si bien qu'elles sont estimées de manière informelle au travers de leur passage dans les modules de formation, de stages, d'initiation à Internet, aux techniques de communication, etc. qui sont alors considérés comme une sorte de simulation de situations de travail. Les renseignements qu’on peut en retirer sont certes intéressants mais limités et nettement insuffisants. De plus, quand, au cours de ces sessions, le recueil des indices quant au comportement de l'usager (ténacité, sérieux, régularité, ponctualité, etc.) sert à établir un document du type "fiche de liaison", on en vient à parler de lui et non plus avec lui. Par ailleurs, sans autre support d'évaluation, les entretiens individuels avec les bénéficiaires sont souvent très pauvres ; ceux-ci amenant rarement des éléments positifs pour rebondir. Au contraire, une démarche d’introspection conduit souvent à pointer leurs lacunes, leurs échecs, à se dévaloriser.  La chronologie du chemin parcouru est défaillante, comme s’il était difficile de regarder en arrière. Le bilan de compétences tel qu’il est conçu classiquement n’est pas adéquat à l’égard de ce public. C’est pourquoi il faut concevoir un outil spécialement adapté à ce public dans le but de pouvoir identifier concrètement les compétences dont disposent les personnes et proche dans l’esprit de la validation des acquis. L’idée, en fait, est de constituer en partenariat avec tous les acteurs concernés, le « portefeuille » de compétences de la personne, ce qui veut bien dire qu’elles lui appartiennent. Ces informations seront alors percutantes pour argumenter au niveau de l’estime de soi et vis-à-vis des interlocuteurs extérieurs.

En effet, à défaut d’une scolarisation poussée, de nombreux adultes ont acquis au contact de la vie des connaissances et des habiletés souvent très valables. Il y a lieu de reconnaître ces compétences et de tenir compte de ces acquis. Il est même urgent de systématiser l’utilisation d’une grille d’évaluation aux critères précis qui pourrait servir à valoriser ces expériences et à mettre en évidence les capacités et les qualités de la personne, avec des effets positifs pour le regard porté sur soi et sur l’avenir. De plus, l’évaluation doit permettre également de construire, avec la personne, un plan de développement individualisé qui identifie clairement les compétences à améliorer de façon à combler l’écart entre son profil et celui qui découle de son projet de vie et qui l’accompagne dans son parcours d’insertion de manière à assurer un transfert effectif dans l’action.

En bref, l’évaluation doit être envisagée à la fois comme un processus et comme un état des lieux, qui permettent à la personne en évolution de se situer en permanence par rapport à ses buts et de s’améliorer en s’appuyant sur ses points forts. L’évaluation constitue également un instrument de travail pour l’agent d’insertion qui dispose ainsi de repères d’une part pour identifier les besoins de son « client », le conseiller et l’orienter adéquatement et, d’autre part, pour attester des compétences observées, ce qui est particulièrement utile lors des entretiens d’embauche ou même de sélection en vue d’une formation de promotion sociale.

 L’évaluation se conçoit dans une approche basée sur la notion d’objectifs de référence. Ceux-ci guident le choix des critères, les variables à mesurer. Très synthétiquement, les objectifs que nous poursuivons sont les suivants :

Il s’agit donc d’évaluer d’une part, l’outil éducatif et, d’autre part, les effets résultants. Plusieurs remarques s’imposent. La première est que malgré qu’il soit communément admis que mesurer quantitativement les résultats d’une action publique est difficile et encore plus à court terme, ce n’est pas impossible. Deuxièmement, les changements constatés peuvent être dus à des facteurs exogènes si bien que même si l’hypothèse d’une relation causale directe entre les changements constatés et le programme éducatif est discutable, l’évaluation est néanmoins utile sous d’autres aspects. Troisièmement, les risques afférents à une évaluation interne au dispositif, et plus particulièrement lorsqu’elle est qualitative, pose la question du rôle de celle-ci dans le jeu des acteurs et dans leurs stratégies ou leurs politiques de sorte qu’il est donc important de se munir d’indicateurs permettant d’objectiver les constats empiriques. Quatrièmement, l’enjeu de l’évaluation qualitative est d’affiner l’interprétation si bien qu’elle est complémentaire.

Les modèles et les théories d’action seraient des carcans si, dans une confrontation permanente avec la pratique, on n’acceptait pas de les questionner et de créer du savoir pragmatique. En d’autres mots, l’expertise résulte des enseignements tirés de l’expérience, de leur mise en mémoire et de leur activation face à d’autres situations particulières. Plus encore, le travail en réseau impose cette analyse, cette capitalisation et ce transfert. En ce sens, écrit dans l’optique d’une évaluation par rapport aux objectifs préétablis, le rapport d’activités doit être riche du passé et d’ouvertures sur le futur. Il diffère d’une simple compilation de données. Il nécessite une prise de recul et de s’éloigner des urgences quotidiennes.

Le travail de rédaction est un temps de réflexivité qui permet de comparer les objectifs et les résultats, de s’interroger sur sa pratique, de l’expliciter, de la structurer et de la conceptualiser, d’explorer de nouvelles pistes à partir des hypothèses et des modèles d’intervention, de la faire évoluer, d’envisager les possibilités de sa transposition... Le rapport est ensuite un support de partages et d’échanges, à condition de mettre en évidence à la fois les caractéristiques particulières du contexte et les invariants de la démarche qui pourrait être transférée. Ceux-ci sont, par exemple, les modalités de la participation, les règles pédagogiques à adopter, les segmentations à effectuer, les priorités à respecter, les contraintes à ne pas négliger, etc. L’analyse des pratiques permet d’identifier les variables à prendre en compte pour le transfert des pratiques. Ces deux aspects sont donc indissociables.

On peut imaginer que les rapports soient encodés dans une base d’informations accessible à l’ensemble des acteurs d’un même champ d’action, ce qui contribuerait à construire le savoir collectif et à alimenter les ressources de tous. Les nouvelles technologies de l’information et de la communication ont déjà permis des avancées considérables[3] dans ce domaine mais, faute d’une véritable concertation, il est parfois difficile de trouver son chemin dans le labyrinthe et le foisonnement de données qu’est aussi l’internet. Il s’agit de réfléchir à l’organisation de cette bibliothèque gigantesque afin que les outils de travail soient aisément disponibles et non plus éparpillés sous la multitude. Bien sûr, ceci a un coût qui ne peut être accepté que si les enjeux aussi bien institutionnels que personnels sont clairement perçus, à savoir que l’expertise collective est indispensable pour apporter une valeur ajoutée aux usagers des services sociaux.

Le second pan de l’évaluation concerne la personne visée par l’action d’insertion sociale et plus précisément, les effets de cette dernière sur celle-ci. Evaluer signifie porter un jugement à partir d’une information, autrement dit, attacher une valeur à l’objet considéré. Il s’agit de pouvoir expliciter pourquoi on est satisfait ou non, ce qui est réalisé en référence aux idéaux qui nous guident. Quels devraient être les résultats ? En concordance avec la fin poursuivie, à savoir l’amélioration de la qualité de vie, et dans une perspective globale, nous accordons autant de valeur à la dimension subjective et affective qu’à la dimension plus pragmatique, comportementale, qui, de plus s’influencent l’une l’autre. Ainsi quels critères d’épanouissement pouvons-nous retenir et en fonction de ceux-ci quelles informations allons-nous recueillir ?

Ces données doivent être suffisamment détaillées pour éclairer les décisions à prendre en conformité avec le projet de vie de chacun et la procédure doit nécessairement être uniformisée pour faire converger les pratiques d’une multitude d’acteurs dont les systèmes de valeurs pourraient parfois, sinon, entrer en contradiction. Allier les aspects qualitatifs et quantitatifs de l’évaluation permet aussi de décrire la dynamique observée, de l’analyser pour en comprendre les tenants et les aboutissements mais également de laisser la porte ouverte à la pensée créative qui trouve son espace/temps pour se déployer.

De plus, il apparaît utopique de vouloir confiner, dans une grille d’observation prédéfinie, les leviers potentiels pour mobiliser un individu car celle-ci ne pourra jamais prévoir tous les cas de figure, toutes les combinaisons possibles à moins d’être titanesque et inutilisable en pratique. Il s’est avéré, lors des animations, que l’évaluation qualitative répond à cet objectif moyennant quelques conditions élémentaires, telles que disposer d’un temps et d’un contexte d’observation adéquat et de disposer de la formation nécessaire.

[1] Direction interdépartementale de l’intégration sociale, Premier Rapport sur la cohésion sociale en Région wallonne, Ministère de la Région wallonne, Jambes, 2000, p. 15.
[2] Astudillo Rojas A. (Réussir à reprendre une formation. Quart Monde, n°174, juin 2000, pp. 8-9) citée par BRUN P., Savoirs de vie, savoirs scolaires dans la formation des adultes en difficulté d’insertion socioprofessionnelle. VEI Enjeux, n°123, déc. 2000. 
[3]
Nous pensons notamment au site www.labiso.be qui publie, gratuitement, « Les cahiers du Laboratoire des innovations sociales ». Par contre, le bi-mensuel Alter Educ n’est diffusé que moyennant le paiement d’un abonnement. Il en est de même pour la base de données du journal Alter Echos qui est pourtant destiné aux travailleurs sociaux. L’accès aux 3000 articles est donc limité.

Isabelle LEVERT
Psychologue clinicienne
Psychothérapeute

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